Friday, September 29, 2006

ACTE II - EPISODE DEUX

M.de St G. se réveille au milieu de son salon, ravagé comme une chambre d'hôtel de Las Vegas Parano. Une fenêtre est restée ouverte, laissant ainsi le vent s'engouffrer et jouer avec les rideaux détrempés. La pluie a inondé le parquet et une partie des meubles, faisant de larges taches noires et luisantes. Il fait un peu froid, le soleil traîne à se lever et des nuages bleus gris au loin plombent le ciel et l'horizon. Le médecin lui avait conseillé de prendre ses médicaments deux fois par jour, matin et soir, qu'il verrait la différence. Alors De St G. se lève péniblement, s'appuyant sur le bord de son canapé. Comment fait-il pour avoir la gueule de bois sans boire une seule goutte d'alcool ? C'est ça la dépression ? Somnoler en plein jour pour mieux souffrir la nuit ? M. De St G. ouvre la boîte de cachets, en prend deux ( autant faire les choses à fond ) et les avale. Goût amer, impression dérangeante de manger de la farine avariée. Mais il se sent mieux d'un coup, " le contrecoup psycosomatique", lui avait prédit son psy. Soudain, une vibration répété le long de sa jambe le fait quelque peu sursauter. Son portable. "Appel de : JC Fac". C'est un vieil ami qu'il a connu sur les bancs de l'université mais dont il n'a jamais su le vrai nom de famille. Il n'est même pas certain que ce garçon puisse s'appeler JC. Curieux monogramme.
"Salut Charles, c'est JC."
"Bonjour..."
"Tu as l'air crevé aujourd'hui, ça va quand même ? Parce que jeudi, y'a le concert des Dirty Pretty Things, t'as pas oublié ?"
"Nan."
"Nan quoi ?"
"Nan, j'ai pas oublié. Nan, ça ne va pas trop bien. Nan, je ne suis pas encore réveillé. Et nan, je ne t'en veux pas de sortir avec Héloïse !"
"..."
"C'est qui Héloïse ?"
M. De St G. a un problème. Il achève rapidement sa conversation au téléphone d'un air enjoué. "Private joke". Puis il se précipite au café rue St Guillaume. Mais ce dernier est en travaux depuis trois mois maintenant. Pourtant il en sûr, Héloïse existe, c'est impossible qu'il ait pu tout inventer. On ne devient pas schizophrène comme ça d'un coup... Quoique cela expliquerait beaucoup de chose... Alors M. De St G. s'assoit sur un banc du boulevard et se prend la tête entre les mains. Qu'est-ce qui lui arrive ? Que penser ? Qui croire ? Son médecin. Il devrait retourner voir son médecin. Lui seul pourrait l'aider. En cherchant son portable dans son manteau, il tombe sur le courrier de ce matin, une lettre qu'il n'a pas encore ouverte. De ses parents. "Diapos, je vous prie".
Il fête ses cinq ans.
C'est le plus loin dont il se souvienne, à cause des photos aussi peut-être. Sa mère lui tient l'épaule, deux ou trois princesses naines, un cowboy d'un mètre dix et deux chevaliers de même taille l'entourent avec envie alors qu'il ouvre le petit tas de cadeaux étalé devant lui. La même année, ses parents sont convoqués par sa maîtresse. Le petit Charles a appris à lire tout seul et fait bande à part, prenant tous ses gentils camarades pour un carnaval de bouseux.
A l'age de onze ans, il voit ses parents partir en Corée, et lui, il reste à Paris, désormais pensionnaire dans un lycée pour "fils de". Fils d'ambassadeurs, fils d'expatriés en tous genre, de grands patrons divorcés, et d'aristos aux Bahamas qui avaient oublié leur petit Philippe-Edouard. C'est un lycée pour orphelins en puissance. Il y règne une ambiance de mélancolie maquillé en arrogance et d'abandon déguisé en insouciance.

Mais De St G. sent que ces souvenirs sont trop neutres. Il leur manque cette émotion de l'instant, cet instané sensible, ce qui justifie en fait la moindre volonté de vivre. Espérer en une émotion nouvelle. Et M. De St G. ne les retrouve plus. Qu'a-t-il ressenti quand ses parents l'ont mis en pension, pour ne le revoir qu'une fois tous les six mois ? Rien. A la place du chagrin enfantile, du désespoir face à cet abandon terrible, du rien. Pas même de l'indifférence. Du néant, du vide. Un vide terriblement destructeur, ce qui laisse maintenant M. De St G. pantelant, abasourdi. Traumatisme, choc psycologique, blessure mentale, viol mnémésique ... De St G. a l'impression d'être nu et aveugle au milieu d'une vie qu'il ne contrôle pas, qu'il ne contrôle plus.


Un reflet blond passe devant lui, monté sur des bottes en daim. De St G. croît reconnaître Héloïse, l'appelle. La fille ne se retourne pas. Et si elle l'ignorait délibérément ? Il veut l'appeler sur son portable. Aucun numéro au nom d'Héloïse. De St G. a un éclair de lucidité. C'est un complot. Elle a effaçé son nom du répertoire de M. De St G. pour qu'il se croit fou, et elle a couché avec JC pour le mettre dans le coup. De St G. a tout compris. Plus qu'une seule solution, il doit se rendre chez elle et la forcer à des aveu et des excuses pour ce qu'elle lui a fait subir. Pour se rassurer aussi ...


"Que s'est-il passé exactement ? N'omettez aucun détail, s'il vous plaît," fait le médecin, soudain plus nerveux. M. De St G. le regarde fixement et le psy détourne le regard, se passant nerveusement la main sur sa barbe de trois jours grisonnante.





De St G. marche tranquillement sur le boulevard de l'allure assurée de celui qui se sait victorieux et dans son bon droit. Héloïse possède un appartement contemporain rue de Rennes. Arrivé devant la porte d'entrée de l'immeuble, De St G. ne retrouve plus son nom de famille. Comment s'appelait-elle déjà ? Un nom lui semble quelque peu familier, qu'il sonne et il verra bien. Au pire demandera-t-il des renseignements. Une voix féminine, mais fatiguée, un peu cassée malgrè le jeune âge que l'on devine dans l'intonation, maugrée un "oui" agaçé et peu engagant. "Héloïse ?", se hasarde De St G.

Ce n'était pas Héloïse, mais une vieille connaissance de lycée, qui avait à l'époque raconté au tout Paris que M. De St G. était un salaud, ce qui n'avait ému personne et avait même accru l'influence de De St G. au sein du milieu VRP des quartiers d'or de la vieille ville. Mais une question rest ene suspens : comment a-t-il pu confondre l'adresse d'Héloïse, sa muse capricieuse et volage, avec celle de cette pimbèche aigrie et frustrée ? De St G. sent un léger mais désagréable frisson lui parcourir l'échine, traversant sa chemise comme une lame de rasoir. Et s'il avait tout imaginé ? Un rève, Héloïse ? Une chimère, sa délicate petite Kate ? Un innocent, le terrible Pete ? Et lui, M. Charles De St G., juste un pauvre schizophrène, errant dans un Paris onirique, héraut d'une folie biaisée et corrompue par la triste réalité ?

A ce moment de son récit, le médecin le regarde avec une certaine compassion, à peine plus condécendante que la pitié. De St G. a une terrible envie de meurtre, ici, tout de suite, dans ce cabinet. Une envie de zébrer de larges tranches de chair avec un scalpel. Un irrepressible désir de massacrer, de torturer, de voir souffrir physiquement sous ses yeux quelqu'un d'autre que lui. Mais M. De St G. reste impassible, aucun muscle de son visage ne bouge, ses yeux n'expriment aucune violence, mais un simple mécontentement poli. Le médecin a cependant une certaine connaissance de l'esprit des hommes, en particulier, quand ils sont en proie à un désordre tel que connaît De St G. à cet instant. Il préfère donc prudemment se mettre à l'abri derrière son fauteuil, se levant discrètement et se retirant du champ de vision de De St G. Ce dernier réalise alors son incorrection et revient bientôt à des pensées plus pacifistes mais toujours aussi tourmentées, revenant sur cette interrogation qui désormais le hante. Qui est-il vraiment en fin de compte ?

M. De St G. sort du cabinet, effondré. Tout dans sa tête se mélange et tournoie comme une toupie destructrice. Plus rien ne lui semble certain, tout n'est que métaphore trompeuse, mirage de fou, monde d'onirisme décadent et de bulles saumâtres. De St G. descend par les escaliers recouverts d'un velours rouge usé, titubant, s'appuyant sur la barre de bois verni, sur le mur. Il marche à contre-courant du flot humain qui se déverse des bouches de métro, des cafés, des magasins. Dans la rue, les gens le croisent sans le regarder, le bousculent du coude sans s'excuser. Il sent tout-à-coup une vague de froid envahir son corps à la dérive. Ses yeux vitreux de terreur et de folie ne distinguent plus grand chose et roulent de gauche à droite affolés dans la tempête. Des larmes de désespoir perlent et glissent, vaisseaux de pureté, jusqu'au col de De St G. Ses pas l'ont portés au pied de son immeuble, mais les forces lui manquent et il s'écroule sur le palier, à moitié inconscient. Curieusement, il se met à penser à la vieille dame qui s'était assommée sur cette même chaussée et il se demande si un golden boy passera aussi à côté de lui, affairé et arrogant. Peut être même lui marchera-t-il sur la main.Aussi De St G. met-il précipitemment sa main dans sa poche.

Mais aucun golden boy, personne d'autre d'ailleurs ne passe sur la chaussée encore humide et luisante. Combien de minutes, d'heures reste-t-il, dans ce semi-coma, affalé sur le trottoir ? Soudain, il sent une présence à ses côtés, puis une main douce et chaude lui caresse le visage. M. De St G. reconnaît ce parfum si entêtant. Il sent l'émotion le submerger. Ces cheveux blonds en cascade, cette douceur, cette chaleur sauvage qui le prend et l'enivre, ce timbre de voix si exquis, cette présence, c'est Héloïse.

Alors De St G. clot ses yeux douloureux et sombre dans la nuit, comblé.


Monday, September 25, 2006

CONSEILS AVANT DE LIRE L'ACTE I - EPISODE DEUX


J'ai pensé qu'il ne fallait pas laisser tomber quelque habitude peut-être utile, en tout cas, indissociable à la lecture des aventures de M. De St G. Ainsi voici les conseils avant de lire l'acte I ( peut-être lu avant malgré tout ... ) :
1) "Rien en sert de courir, il faut partir à point." DE LAFONTAINE, Jean.
2) Laissons-nous dépraver par : The Rakes, Capture, The Doors, notamment, Alabama song, The End, Hello I love You, Light My Fire, Gloria.
3) Gorgeons-nous de : Kasabian, Empire, dEUS, Pocket Revolution,
4) PLeurons et/ou rions sur : The Flaming Lips, At War With The Mystics, The Divine Comedy, Victory Of The Muse, The Pipettes, We Are The Pipettes ( s'écoute avec une dunhill menthol dans une vieille Mini orange, habillé avec une veste en velours marron, un pantalon jaune et des weston original ... ).
5) Question complémentaire : "la dépression, vous la vivez comment ?" - "Moi, mal." - Toute suggestion bienvenue. Merci d'avance.

Thursday, September 21, 2006

ACTE I - EPISODE DEUX

L'été se meurt doucement, sans bruit ni autre artifice que celui de ses pâles dorures d'automne. M. De St G. finit sa tasse de café, jete un dernier regard à l'océan qui lui fait face et rentre dans la chambre. " Life is contrast," murmure-t-il songeur. La pièce est en effet aussi sombre que le temps dehors est clair, son esprit aussi confus que sa silhouette est harmonieuse. Elle dort en travers du lit, vêtue d'un pyjama en soie bien trop grand. Où a-elle pu le trouver ? Chez ses parents peut-être ? … Il la revoit, deux ans plus tard, deux fois plus belle, au bras d'un autre ... Peut-être l'aime-t-il et qu'il ne le sais pas encore ? ... Il sent décidément bien seul au milieu de cette foule ...

... Mais qu'est-il seulement ? Cogito ergo sum. Mais c'est un peu trop facile. Pense-t-il vraiment par lui-même, ou n'est-il qu'un simple cobaye dans un baquet d'expérimentation à l'échelle de la Terre, jouet tourmenté d'un démiurge fou à lier ?

M. De St G. est donc allé voir son médecin. Il appréçiait pourtant plus ce dernier pour le bon goùt dont il faisait preuve dans son habillement, que pour ses remarques ( toujours vraies ) et ses conseils ( éternellement intelligents ), cette manie en fait de se prendre pour son psy et son gourou à la fois, d'avoir toujours raison. Ce matin, De St G. entra donc un peu fatigué dans le cabinet pour en sortir officiellement dépressif et gratifié d'une monstrueuse ordonnance de médicaments aux noms barbares. Il se dit que ce n'était pas en ingurgitant des formules chimiques tordues, en poudre ou en cachets, qu'il guérira de cette langueur, mais qu'il devrait plutôt s'acheter une nouvelle paire de chaussures. C'était plus agréable comme traitement, et pas forcément plus onéreux ...

Mais M. De St G.doit être plus malade qu'il ne le croyait. Il s'est en effet offert pas une, mais deux paires de chaussures, plus trois chemises, deux pantalons pour aller avec les chaussures, et surtout un manteau extraordinaire en tweed, à mi-chemin entre la gabardine et la redingote, entre le manteau d'hiver et le pardessus chic. Drapé dans sa dépression ainsi l'antique sénateur dans sa toge pourpre, De St G. la porte fièrement, nouvel égire baudelérien en ce nouveau siècle maudit.

Grand-père est mort il y a deux jours, et c'est ce que l'on pourrait presque appeler une circonstance aggravante. Surtout si l'on ne l'a presque jamais vu, ce qui en a fait un mythe. Et se dire que l'on a peut-être raté l'occasion de rencontrer quelqu'un de vraiment intéressant peut provoquer un sentiment de frustration chez le sujet, lui a expliqué le médecin. Frustration qui exacerberait le penchant dépressif de De St G. D'où ladite dépression. CQFD. "Ou pas ..." Car cela réduirait M. De St G. à un attardé mental au niveau relationnel, ce lui semble tout de même un peu exagéré, objectivement analysé. Il doit y avoir une autre raison, plus complexe et plus romantique.
M. De St G. resort pour acheter quelques livres et magazines car il adore se poser sur une terrasse avec un bouquin et regarder les gens, une tasse d'expresso à la main. Sur les avenues et dans les parcs, les arbres se consument violemment en un chatoyant sacrifice de leur verdure, avant que ne vienne l'hiver.

M. De St G. "s'installe" dans le café. Comme à son habitude, il transforme la petite table de la terrasse en un fatra extraordinaire d'accessoires, utiles ou inutiles, qu'il transporte toujours avec lui. Une jeune parisienne ne cesse de le regarder du coin de l'oeil, probablement quelque peu intrigué. Enfin, c'est ce qu'il imagine, car le visage de la fille en question est complêtement masqué derrière de larges et insolentes lunettes de soleil. Elle fume de longues cigarettes, balancées d'une main fine d'un bout à l'autre de la table, rythmant d'un geste élégant sa conversation avec un dos féminin vêtu de pois bleus roi sur fond blanc. M. De St G. commande un expresso avec un verre d'eau, ainsi qu'un paquet de cigarettes de luxe, les seules disponibles dans ce café. Ce qu'il préfère dans l'acte de fumer, c'est ce court instant de gaspillage pur, ce frémissement léger aux premiers rougoiements du tabac, cette brume blanche létale qu'il s'amuse à expirer par à-coups, avec un plaisir un peu gamin, cette sensation égoïste de consommer du temps, de détruire sans but, de dépenser pour de la fumée et de vivre dans l'éphémère. C'est pour cela que M. De St G. fume très peu, afin de ne jamais transformer ce moment exquis en une grise habitude.

Un portable blanc vibre sur le fer forgé de sa table. Elle regarde le nom qui s'affiche sur l'écran, compte machinalement jusqu'à cinq, puis décroche. M. De St G. ne peut s'empêcher d'écouter la conversation…

"Oui ?"
"..."
"Oui, ça va un peu mieux... Je suis sur la terrasse du ***. "
"..."
"Avec MJ."
"..."
"C'est tout, oui ! On prend un coca light, il faisait trop chaud chez moi."
"..."
"..."
"Je sais pas trop. Demain, peut-être..."
"..."
"Je sais."
"..."
"..."
"Si tu veux. Moi, ce type m'emmerde, mais si tu le trouves sympa..."
"..."
"Evidemment. Bon, je te laisse..."
"..."
"Je t'aime moi aussi. A ce soir. Bisous."


Voila. Fin de non-recevoir. Sans appel et définitif. M. De St G. redescend sur Terre. C'est à chaque fois un peu douloureux. Il pense tout-à-coup à Jim Carrey dans Eternal Sunshine Of The Spotless Mind quand il se demande pourquoi il tombe toujours amoureux de toutes les filles qui font un peu attention à lui. C'est exactement la citation qu'il fallait. S'il voulait écrire un bouquin, ce serait un peu léger comme référence culturelle, mais seul dans son cerveau, De St G. n'a aucun complexe à la penser, à la redire tout bas, à se remémorer ce passage du film, Jim avec son vilain bonnet et sa tête de chien battu. A-t-il la même expression ? Les deux filles se lèvent. M. De St G. soupire silencieusement. Mais le dos à pois ne se retournera jamais et les yeux derrière les lunettes-mouche ne se révèleront pas non plus. De St G. en ressent un tel désespoir qu'il croit de bon ton de se prétexter fatigué et de retourner chez lui somnoler dans son salon.

Ce soir, 20h30, concert. Il a accepté de venir jouer en semaine dans un café lounge que tient à temps partiel un de ses anciens amis de fac. Il connaît désormais son répertoire parfaitement, et le trac avant de jouer a presque complêtement disparu. Jouer est devenu pour lui une manière agréable de financer une partie de son train de vie un peu trop décadent et luxueux. Ce soir Guillaume l'accompagnera à la basse comme tous les autres soirs. Cela fait plus de six mois qu'ils font des concerts tous les deux et leur duo ne fonctionne pas trop mal. Des reprises de Radiohead et de Pink Floyd en acoustique, quelques compos calmes. Parfait pour ce genre d'endroit et de fréquentation.

Les deux musiciens se retrouvent devant la station de métro Odéon. Le café où ils doivent jouer ce soir n'est vraiment pas très loin. Un temps d'hésitation devant la porte vitrée qui laisse apercevoir les gens installés à l'intérieur, probablement en train de discuter de la future prestation, s'apprêtant à critiquer aussi violemment qu'ils pourraient aduler. M. De St G. sent monter en lui une vague de mépris, d'écoeurement à cette idée, vite ravalé avec excitation. Il l'a vue. Elle. La fille de ses souvenirs de vacances. Diane. Elle est presque aussi belle que dans ses souvenirs, mais mieux habillée et plus gracieuse. C'est un petit halo de lumière langoureux qui brille courageusement au milieu de post-ados bien habillés, mais ternes et médiocres. De St G. pousse la porte, il la regarde, un serveur vient l'accueillir, suivi du patron. Elle l'aperçoit enfin, le reconnaît, lui sourit gentiment. Une bouffée de chaleur l'étouffe presque, puis lui rend son assurance. Déjà des gens se lèvent précipitemment pour avoir les meilleures places ou pour le saluer. Les spectateurs sont étranges, comme déjà un peu ivres, tournant entre les tables, les yeux hagards, un peu désoeuvrés.
De St G. s'assoit directement sur le tabouret que l'on lui a réservé à côté de la console, pour qu'il puisse contrôler lui-même le son, voire le modifier. Il branche sa guitare, l'accord sonne, étranger, au milieu de la fumée diaphane qui nappe la pièce. Elle prend le visiteur comme une vague, l'étouffe, l'aveugle, et le recrache, initié au milieu des initiés, au milieu d'une pièce ovale, vermeil et or comme le serait l'uniforme d'un jeune officier napoléonien décadent et meurtrier, blasé et arrogant. Tel semble être aussi l'état d'esprit des gens qui observent désormais M. De St G. C'est le moment de commencer à jouer.

La petite foule se disperse lentement et se redispose aux premières tables. De St G. a chanté et joué, on a applaudit, sifflé, boudé, pleuré même, mais discrêtement, avec cette pudeur extrême qui le tue en ce moment. Car De St G. s'est éviscéré minute après minute, tentant d'exorciser son spleen, cette tristesse, cette langueur mélancolique qui l'étouffe, qui l'empêche de vivre vraiment, et qui lui arrache des larmes de rage. Et ce soir, comme tous les autres, les gens repartent, satisfaits, sans le moindre remord de s'être repu de M. De St G. Le spectacle est terminé. Les artistes disparaissent de la scène. Et qui imaginerait que la tristesse qu'ils chantaient tout à l'heure sous les feux, ce mal qui les ronge, les suive dans les ténèbres des coulisses et du quotidien poisseux ?
Au moment de revenir dans la salle principale du pub, De St G. est pris par le bras par une fille qu'il a vaguement rencontré une fois à une soirée un peu minable, et qu'il a aussi vaguement dragué. B. le traîne à sa table, l'exhibe fièrement devant ses amis, s'assied sur ses genoux, le fait boire dans son verre, puis l'embrasse. C'est aussi à ce moment que M. De St G. retrouve Diane du regard, les bras serrés contre sa poitrine, les cheveux en bataille devant ses yeux brûlants de ressentiment, terriblement accusateurs. De St G. a soudain envie de se lever, de gifler et de repousser ce parasite hideux de médiocrité qui l'enlace en ce moment. Il voudrait rejoindre Diane et la prendre dans ses bras, délicatement, comme l'on cueille une frèle rose sur sa tige, sans perdre le moindre pétale. Il lui dirait des je t'aime dans le creux de son oreille et elle sourirait légèrement, gardant ses beaux yeux clos.
Mais il se contente de la saluer d'un sourire un peu triste. Elle incline un peu la tête et se retourne alors, vaguement écoeurée. De St G. se lève lentement de la banquette, prend sa veste et sa guitare, et quitte les lieux. Il appelle un taxi au bord des larmes et de la crise de nerf. Une envie de s'endormir et de tout oublier. Une envie de sombrer définitivement dans cette dépression qui le hante et de se noyer avec délice dans cet océan de décadence noire si tentante.