Thursday, April 05, 2007

AUTODAFE



Le velin grossier se gondole

Sous la chaleur grondante du feu

La flamme hirsute déchiquète

L'air et le papier brun galeux.


Les rayons miels perçent la paroi

De bois, rustre et fragile à la fois.

Qui s'évanouit dans les cendres ?

Soren, Vladimir ou Alexandre ?


Si ce bûcher est sociétal,

Qui sont les échevins, les prêtres ?

Mais n'entendez-vous pas les râles,

Les cris des suppliciés de la lettre ?


Autodafé, tu me provoques

Tu m'incites à une haine muette

Résistons, philosophes, poètes,

Soyons plus virulents que la Bête.

Thursday, March 29, 2007

NOUVELLE COURTE

« Je suis la Brute Humaine…
Ma vie ressemble trop à un lugubre cri, et mon histoire, à une sinistre errance. Car trop de repères et trop de foi ont fait de moi un être cynique, torturé et terriblement homme. Pitoyablement homme. Jusqu’à l’écoeurement … Jusqu’à la fascination… »

A la lecture de ces quelques mots, je frémis inconsciemment. Quels maux terribles, quels déchaînements innomables du sort cet homme-là a dû subir pour arriver à un tel dégoût de soi-même ! Accrochant mon regard trouble, triste et lent comme si cette vague de froide mélancolie commençait à me gagner, le professeur Vladimir Jüng me retire brutalement les quelques feuillets manuscrits que j’avais négligemment récupéré sur l’immense bureau marqueté. Le meuble démesurément large trône au fond d’une pièce vaste et ovale dont le plafond forme en ses hauteurs une voûte mystérieuse. Les murs sont recouverts de panneaux de bois précieux et de lourdes tentures de brocart grenat . Des millers de livres peuplent sagement trois pleines bibliothèques de chêne, ou fuient sur le sol en piles savamment effondrées. Carnets de notes et ouvrages se côtoient effrontément sur de riches tapis de soie et de cachemire.
« Mais qu’est-ce que c’est exactement ? », fais-je, en montrant du menton le petit tas de feuilles écornées, recouvertes d’une écriture élégante mais hâtive. Je me tourne alors vers cette longue silhouette décharnée qu’est le célébre professeur Jüng. Engoncé dans un costume de velours marron, ses fins cheveux coiffés sobrement en arrière, cette sommité de la philosophie et de la psychanalyse, tant admiré et tant haï, me fixe d’un oeil bleu sombre inquisiteur.
« Mais sur quel AUTRE propos Monsieur l’étudiant de quatrième année est-il désireux de s’entretenir ? », me questionne en retour ironiquement ce vieux con orgueilleux. Décidément, je ne peux vraiment pas le supporter. Quel dommage qu’il soit si exécrable de caractère et si brillant en même temps ! Je me borne à lui sourire le plus aimablement possible, ne pouvant contrôler cependant cet éclair de défi impudent traversant mes yeux mi-clos. La tension violente qui règne entre nous deux emplit désormais la pièce d’une atmosphère lourde de sous-entendus et de rancoeurs mal contenues. Je m’attend à ce que le professeur se mette à rire bruyamment comme à son habitude quand il rencontre une opposition soudaine, puis laisser tomber une petite phrase assassine qui clôt alors définitivement toute autre velléité de débat. Or ce dernier continue à me fixer, et son visage laisse paraître un instant un sentiment de profonde tristesse et de douleur sombre. Son regard encore vif quelques secondes auparavant devient trouble, sa pupille glisse sur le côté découvrant un blanc écoeurant veiné de capillaires bleutés. Un mince filet de salive rose coule le long de ses lèvres minces et glissant sur la gorge, souille son col de chemise. Le professeur couche sa tête grise majestueuse sur ses notes et sombre dans l’inconscience sans un bruit.

: : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : : :

Le choc face à cette mort à la fois si violente et si silencieuse me frappe sourdement, Insidieux, vicieux, dérangeant, nihiliste. Impuissant, je commence à réaliser que mon esprit se détache de mon corps, mû comme par l’impérieux chuchotement de quelque shème métaphysique. Toute sensation physique s’estompe ; mes membres se paralysent lentement, glaçés. Mon rythme cardiaque décélère au fur et à mesure que mon esprit se fait plus confus. Ma vision se brouille en un flou rosâtre et orangé et je me sens tomber, déjà loin, sans ressentir la moindre douleur, spectateur de ce que je crois être ma mort. Avant de sombrer pour un pourrissement proche, je remarque deux coulées de sang rouge vif couler avec vivacité, sans que je ne puisse en déterminer la provenance ni le propriétaire. Et si c’était moi ? … « Unplugged »

Flashs de lumières blanches. Trouble et aveuglement. Une douleur effroyable assaillit tout mon corps et ma tête. Je vois confusément des tas de câbles sortir de machines métallisées pour pénétrer ma chair torturée. Qu’est-ce qui m’arrive ? Un choc violent me fait de nouveau perdre connaissance.

Une silhouette se penche vers moi, vacillante ombre devant les néons. On dirait qu’elle veut communiquer avec moi mais je n’entend désespérément qu’un bourdonnemnt odieux qui me fait claquer des dents. Un cri tranche l’air suffocant ; je sens alors une chose liquide s’insinuer dans mes veines, un corps étranger, un poison. La souffrance s’empare progressivemment de moi et broie chaque parcelle de mon corps. Aucun nerf, aucun carré de peau n’échappe à cette torture. Cependant, ma vision se précise et je peux désormais distinguer des nuances de couleur, mon visiteur se devine et se dessine dans la blancheur crue des lampes au dessus de ma tête. C’est un homme au visage émacié, habillé d’une longue combinaison blanche ceintrée, casqué d’un demi-hémisphère de platique translucide légèrement bleuté, auréolé de fils monocolores, fins tentacules synthétiques. Il pose une main ganté de blanc sur mon ventre. Je baisse les yeux sur moi : je suis attaché par de larges sangles noires qui me pressent l’abdomen, les épaules et les genoux. Je suis totalement nu mais aucun réflexe de pudeur ne m’agite, bien trop souffreteux et trop hébété pour tenter le moindre mouvement. Ma peau blanchâtre est striée de fines craquelures rose et jaune sale. Mes membres anormalement gonflés sont bleuis par de mystérieuses congestions d’où émergent des dizaines de fils blancs et noirs. Bichromie capillaire en damier qui parcoure mon corps éclaté, suitant et pantelant.

Un rythme de pas se rapproche, de plus en plus près, de plus en plus près, de plus en plus… Apparaît alors une immense créature bleue sombre. Ou noire, je ne saurait la décrire plus précisément. Je songe que la drogue qu’ils m’ont injecté doit provoquer des effets secondaires. Du Trixol probablement. Ce genre de saloperie que je m’amusais à inhaler quand j’étais encore au lycée scientifique d’Etat avant de partir pour l’Université de Pensée Paramédicale Appliquée. On prenait ça avec de petits brumisateurs bricolés, caché dans un coin de salle avec deux ou trois autres toxicomanes amateurs. Mes yeux bouffis par la drogue et la douleur tentent de lire dans cette masse sombre qui s’agite, un quelconque attribut d’humanité, pour se faire peur une dernière fois… Un étrange vrombissement résonne dans l’espace sonore et distendue de la chambre qui prend maintenant des dimensions cosmiques. Mes dents s’entrechoquent et mon corps tremble horriblement, pris de spasmes nerveux, irréprescibles. J’ai envie de mettre ma tête entre deux portes tellement la douleur devient insupportable. Une torture atroce vrille mes tempes, s’insinuant dans mon cerveau violé par les multiples inséminations neurochimiques qu’il vient de subir. Toute la pièce se réduit à l’intérieur de mon crâne douloureux ; la douleur n’est pas seulement physique, elle se transcende vers mon être même. Les souffrances atteignent mon âme, la tordent et la déchiquètent entre leurs serres impitoyables. Je me sens me disloquer littéralement au milieu de cet univers vibrant et terrifiant. Les aiguilles de mon horloge freinent leur course autrefois imperturbable et se bloquent subitement. Un sursaut aveuglant de lumière blanche brûle mes pupilles brisées. Je comprend alors intuitivement que cette mort qui ne veut pas venir a été dépassée. Je ne suis pas en train de mourir mais de naître. Je sens la mort quitter mon corps et la vie envahir la place dans une brume blanche et fantasmagorique. Je frémis une ultime fois, et je perd conscience… Nul ne sait pour combien de temps je peux survivre dans l’espace, nul ne sait combien de temps peut survivre un poisson rouge dans notre atmosphère, nul ne sait combien de temps peut survivre un homme dans une société qui lui est étrangère. Comme tous, une poignée de secondes, de minutes, une éternité.

Entracte


Les chairs se dépècent en lambeaux de famille
L'appétit de la Bête féroce est sauvage
La Mort prépare la noce de ses filles
Grogne un Angelus d'apocalypse futur.

Meurent les poètes, succombent les sages
Périssent les forts dans la fange de l'usure
Entends-tu résonner au loin nos tambours
L'armistice de feu au sein de mos coeurs lourds ?

Ce matin, l'enfant insouciant est en larmes
Les vivants sont en deuil, les morts sont en armes.

"Tout scepticisme étroit et cohérent mène à un nihilisme moral, inactif ou de violence pure."

Tuesday, October 10, 2006

CONSEILS AVANT DE LIRE L'ACTE III - EPISODE DEUX

C'est toujours un peu bizarre d'écrire des conseils de lecture surtout lorsque l'histoire se termine. Enfin, ce n'est qu'une fin provisoire, car il y aura probablement un dernier épisode afin de clore ce tryptique. Une sorte de redondance dans la structure même des épisodes, peut-être un peu classique... Pour ce dernier acte un peu bizarre, je le conçoit, je vous conseillerais une musique plus éclectique, un peu plus psychadélique même.
1°) Un retour éternel mais obligé au Velvet Underground. Le morceau Berlin par exemple reprendrait parfaitement l'atmosphère de cet épisode.
2°) Rock progressif par excellence, le Get Ready des New Order vous plonge dans un doux et langoureux délire sonique dépressif.
3°) Pour leur côté décalé et surprenant, le CSS ( Cansei de Ser Sexy ), avec notamment Alcohol, Art Bitch, Let's make love [...], Superafim.
4°) "Burn, baby, burn !" Une guitare psychadélique et barré par excellence, celle de Jimmy Hendrix, sur Voodoo Child, Cocaine, Purple Haze, All Along The Watch Tower, etc.
5°) Llod Cole, Slip Away et Woman In A Bar. Aérien et magnifique. Classieux. Et pourquoi pas The View, Face4Radio ?
6°) Après proposition de Melle E, citons le sublime et décalé I Am The Walrus, des Beatles. Quand De St G. redécouvre la face caché de Yellow Submarine ...
7°) Le tableau est de Klimt pour ceux qui ne le reconnurent point ... C'est un indice pour un projet qui se monte avec un ami. Il aura de futurs échos ...

ACTE III - EPISODE DEUX


Un rythme familier, clair, résonne doucement dans le creux de son oreille et lui donne la mesure du temps qui passe. "Un, deux, trois, quatre, ..." Les secondes s'égrènent tranquillement au sein de l'univers ouaté et aveugle de l'esprit de M. De St G. Celui-ci prend conscience de la pesanteur cotonneuse d'une couette qui le couvre, l'enfouit. Il sent une lumière blanche perçer progressivement ses paupières et nimber sa vision d'un rouge vif et organique. Alors il ouvre précautionneusement ses yeux troubles et bouffis. C'est le jour pâle qui, s'échappant de la rue, est venu le réveiller de sa torpeur, et désormais, ses rayons ne veulent plus quitter la chambre, brisant leur droiture sur les meubles vernis, jouant avec les plis des tissus, et barbouillant de pâle et d'ombre la pièce, au hasard de leurs caprices.
M. De St G. sourit faiblement en prenant conscience de soi-même, de son corps et du lieu dans lequel il repose. Il ne reconnaît pas cet endroit, mais cependant, cette pièce lui semble étrangement familière, décorée avec un chic un peu excentrique, fou, mélant audacieusement couleurs vives et acidulées et meubles d'époque. Un bouquet de boutons de roses jaunes un peu livides, à peine écloses, embaume subtilement dans la chambre.

Soudain, il entend une voix féminine - qu'il identifie immédiatement - qui semble parler toute seule. " Elle est au téléphone", songe M. De St G. C'est également à ce moment-là qu'il réalise ce qui arrive et se souvient de son état avant son évanouissement. Ses angoisses reviennent violemment, comme un tsunami de glace, et le transpercent. Vit-il encore en cet instant un rève ? Un fantasme de malade déchu ? Peut-être gît-il en réalité sur un trottoir froid et humide tout en sombrant dans un coma destructeur ?
Maintenant, M. De St G. a peur, et cette chambre qui lui paraîssait une alcôve de douceur et de bien-être devient une cage proprement insupportable. Aussi se redresse-t-il soudainement. Un faiblesse le prend. Il se ressaisit et descend du lit avec une farouche détermination. Aggrippant la poignée, il la fait jouer avec une certaine appréhension. Mais cette silhouette tant rêvée se tient de dos au téléphone, en plein jour, lui dessinant un halo de blancheur lumineux. Et face à cette apparition, De St G. se tient immobile, stupéfait. Puis il appelle d'une voix étouffée, prsque incrédule, " Héloïse ?"

M. De St G. se réveille brusquement. Il est allongé sur un divan de velours sombre. Il fait nuit, l'électricité est éteinte. Cependant ses yeux s'habituent lentement à l'obscurité et distinguent quelques formes immobiles et éparses. De St G. a l'étrange impression d'avoir déjà vu cette pièce mais il ne se rappelle plus où. En tentant de se lever, il sent une terrible douleur vriller ses tempes qui le laisse alors affalé à terre comme un pantin désarticulé, hébété de souffrance. Des bruits de portes, des éclats de voix, résonnent au loin alors que son regard se trouble et que son esprit vacille une fois de plus dans l'inconscience. Son médecins se tient dans l'embrasure de la porte, s'avance vers lui, puis tout disparaît alors.
Lumières aveuglantes, bruits de moteurs, de machines et d'humains, murs qui se déplacent, une douleur vive dans le bras, et les ténèbres reprennent possession de lui. Le noir. Un noir profond, d'encre. Et une musique au loin. C'est un vieux tube des Birds. Est-ce vrai que Dieu est un hippie ?



M. De St G. se réveille sur le trottoir, vêtu d'un costume médiéval brodé rouge et or, à culottes bouffantes et chapeau à plumes. Une épaisse fumée blanche, froide et humide, noie la rue et ses immeubles gris de ses volutes étranges. Tout n'est qu'aperçus éphémères, portes échoués, voitures flottantes. Les murs semblent se rapprocher ou s'éloigner, dans un mouvement de ressac tout à fait naturel. Et lorsque De St G. commence à marcher, il saute alors par petits bonds gracieux, laissant une empreinte dans l'asphalte comme s'il marchait sur de la poussière de lune. Des silhouettes traversent la chaussée précipitament, cachés dans de longs manteaux sombres au col relevé, portant le tricorne du Commandeur de Don Giovani sur la tête. De St G. se dit qu'il devrait en commander un, qu'il pourrait même passez chez Colette voir s'ils n'en vendent pas.Cela fait des heures, des jours peut-être, que M. De St G. marche, ou plutôt bondit, le long de ce trottoir, mais il ne voit toujours pas la fin de la rue, à cause de ce maudit brouillard. " Ce doit être une si longue avenue ... Mais laquelle ?", murmure-t-il, pensif. Aussitôt, une personne à la cape de velours rouge moiré, que De St G. n'avait pas remarqué, se tourne vers lui et susurre : "Vous êtes un musicien." De St G. le regarde un peu étonné et lui répond : " Oui, c'est parce que j'aime jouer. En fait, je n'ai pas encore enregistré d'album, mais ça ne devrait plus trop tarder..." Mais sans attendre que M. De St G. ait fini, la silhouette mystérieuse se retourne et s'évanouit dans la brume.




De St G. reste là, immobile, promenant distraitement son regard sur le brouillard opaque, tout en jouant avec la plume de son chapeau. Une racine de vigne un peu sournoise émerge alors du macadam et tente d'enlacer la jambe de De St G., forçant ce dernier à reprendre sa route. Mais la racine est solide et tient prise. M. De St G. tire sa jambe prisonnière mais rien n'y fait. Alors il s'assoit calmement sur le sol détrempé par l'humidité et entame son déjeuner. Le végétal profite de l'aubaine, l'emprisonne des deux jambes jusqu'au torse et commence à monter vers la gorge. De St G. est trop occupé à retirer l'emballage de plastique de son sandwich pour repousser le dangereux envahisseur de photosynthèse. La même musique des Birds fait écho dans les brumes. Et alors que la vigne s'apprête à pénétrer dans sa bouches et ses narines pour l'étouffer, M. De St G. entend au loin une voix familière. C'est celle d'Héloïse qui résonne, métallique et déformée d'à travers les volutes angoissantes. De St G. l'écoute, et soudain la plante se retire, le chapeau et le costume disparaissent pour laisser place à un pyjama d'hôpital, et l'épais brouillard se dissipe pour laisser place à un néant absolu, au noir. Le noir. Alors M. De St G. se réveille enfin.
" Cela fait seulement deux semaines que l'album a été lancé et on dépasse déjà les premiers objectifs escontés. C'est fou ! Mais pourquoi avoir attendu tout ce temps pour enregistrer une telle bombe ?" L'espèce de surexcité hypocrite en costume italien à cravatte rose et cheveux blonds péroxidés qui parlait à M. De St G., est le responsable commercial de la boîte de production. " Franchement, un pur connard !, songea De St G. Ca fait trois mois depuis la fin de ma crise. Mon médecin m'a vraiment soutenu, même si je lui ai préféré l'aide de Héloïse. Elle sait se montrer plus persuasive... D'ailleurs, on sort ensemble."

"C'est amusant, j'ai l'impression d'avoir déjà vécu ce moment", pense tout haut De St G. Et le singe qui lui fait face - habile pour faire fructifier le talent des autres, il faut bien le reconnaître - se demande comment prendre cette dernière remarque. "Ce type est décidément complêtement barré", songe l'homme qui resserre sa cravate et se passe la main dans les cheveux d'un geste minutieusement étudié, répété inlassablement.


Soudain, le portable de De St G. vibre de façon insistante et répétée. Tout en se dirigeant vers le téléphone posé sur une énorme enceinte de studio, camouflée en tablette d'entrée, M. de St G. se souvient brusquement avoir oublié de prendre ses pilules le matin même. "Tant pis, j'en prendrai deux ce soir", se dit-il distraitement.


Il décroche.


" Allo ?"


"Hello ! Kate on phone ! Didn't you forget me, I hope so ?"


Monday, October 09, 2006

CONSEILS AVANT DE LIRE L'ACTE II - EPISODE DEUX


Bienvenue dans l'univers dépressif et tourmenté de M. De St G. Je vous prie de m'excuser pour ce grossier retard dans la rédaction des "Conseils...". Tout de suite en voici une nouvelle livraison :
1) Que pensez-vous de Vision Valley des Vines ? Erotique, brut, décadent, terriblement rock "in a whole word";
2) Beaucoup plus planant et mélancolique, le dernier Guillemots, Throught The WindowPlane, beau, raçé et cultivé.
3) "Oldies or Top Of The Tops", Joy Division, Atmosphere, Love Will Tear Us Apart ( ou à défaut, la reprise de Nouvelle Vague ), She's Lost Control, Muse et son Black Hole And Revelations ( je ne sais si il est très bon ou très mauvais, peut-être tout simplement très inégal et à l'opposé de Origin Of Symetry ), Piece Of The People We Love, des Rapture.
4) Pendant le reste de la rédaction de cet acte, les Modern Times, de Bob Dylan, mixé avec Mathematics des Servant et The Shamen ( Ebeneezer Good ou Move any mountain ).
5) Essai à demi transformé pour le pilote de Air, Darkel et son album éponyme; retenons surtout le Be My Friend, At The End Of This Sky et Bathroom Spirit...
6) Et merci de continuer à me lire malgrè cette lenteur inexcusable dans la rédaction des aventures de De St G ...

Friday, September 29, 2006

ACTE II - EPISODE DEUX

M.de St G. se réveille au milieu de son salon, ravagé comme une chambre d'hôtel de Las Vegas Parano. Une fenêtre est restée ouverte, laissant ainsi le vent s'engouffrer et jouer avec les rideaux détrempés. La pluie a inondé le parquet et une partie des meubles, faisant de larges taches noires et luisantes. Il fait un peu froid, le soleil traîne à se lever et des nuages bleus gris au loin plombent le ciel et l'horizon. Le médecin lui avait conseillé de prendre ses médicaments deux fois par jour, matin et soir, qu'il verrait la différence. Alors De St G. se lève péniblement, s'appuyant sur le bord de son canapé. Comment fait-il pour avoir la gueule de bois sans boire une seule goutte d'alcool ? C'est ça la dépression ? Somnoler en plein jour pour mieux souffrir la nuit ? M. De St G. ouvre la boîte de cachets, en prend deux ( autant faire les choses à fond ) et les avale. Goût amer, impression dérangeante de manger de la farine avariée. Mais il se sent mieux d'un coup, " le contrecoup psycosomatique", lui avait prédit son psy. Soudain, une vibration répété le long de sa jambe le fait quelque peu sursauter. Son portable. "Appel de : JC Fac". C'est un vieil ami qu'il a connu sur les bancs de l'université mais dont il n'a jamais su le vrai nom de famille. Il n'est même pas certain que ce garçon puisse s'appeler JC. Curieux monogramme.
"Salut Charles, c'est JC."
"Bonjour..."
"Tu as l'air crevé aujourd'hui, ça va quand même ? Parce que jeudi, y'a le concert des Dirty Pretty Things, t'as pas oublié ?"
"Nan."
"Nan quoi ?"
"Nan, j'ai pas oublié. Nan, ça ne va pas trop bien. Nan, je ne suis pas encore réveillé. Et nan, je ne t'en veux pas de sortir avec Héloïse !"
"..."
"C'est qui Héloïse ?"
M. De St G. a un problème. Il achève rapidement sa conversation au téléphone d'un air enjoué. "Private joke". Puis il se précipite au café rue St Guillaume. Mais ce dernier est en travaux depuis trois mois maintenant. Pourtant il en sûr, Héloïse existe, c'est impossible qu'il ait pu tout inventer. On ne devient pas schizophrène comme ça d'un coup... Quoique cela expliquerait beaucoup de chose... Alors M. De St G. s'assoit sur un banc du boulevard et se prend la tête entre les mains. Qu'est-ce qui lui arrive ? Que penser ? Qui croire ? Son médecin. Il devrait retourner voir son médecin. Lui seul pourrait l'aider. En cherchant son portable dans son manteau, il tombe sur le courrier de ce matin, une lettre qu'il n'a pas encore ouverte. De ses parents. "Diapos, je vous prie".
Il fête ses cinq ans.
C'est le plus loin dont il se souvienne, à cause des photos aussi peut-être. Sa mère lui tient l'épaule, deux ou trois princesses naines, un cowboy d'un mètre dix et deux chevaliers de même taille l'entourent avec envie alors qu'il ouvre le petit tas de cadeaux étalé devant lui. La même année, ses parents sont convoqués par sa maîtresse. Le petit Charles a appris à lire tout seul et fait bande à part, prenant tous ses gentils camarades pour un carnaval de bouseux.
A l'age de onze ans, il voit ses parents partir en Corée, et lui, il reste à Paris, désormais pensionnaire dans un lycée pour "fils de". Fils d'ambassadeurs, fils d'expatriés en tous genre, de grands patrons divorcés, et d'aristos aux Bahamas qui avaient oublié leur petit Philippe-Edouard. C'est un lycée pour orphelins en puissance. Il y règne une ambiance de mélancolie maquillé en arrogance et d'abandon déguisé en insouciance.

Mais De St G. sent que ces souvenirs sont trop neutres. Il leur manque cette émotion de l'instant, cet instané sensible, ce qui justifie en fait la moindre volonté de vivre. Espérer en une émotion nouvelle. Et M. De St G. ne les retrouve plus. Qu'a-t-il ressenti quand ses parents l'ont mis en pension, pour ne le revoir qu'une fois tous les six mois ? Rien. A la place du chagrin enfantile, du désespoir face à cet abandon terrible, du rien. Pas même de l'indifférence. Du néant, du vide. Un vide terriblement destructeur, ce qui laisse maintenant M. De St G. pantelant, abasourdi. Traumatisme, choc psycologique, blessure mentale, viol mnémésique ... De St G. a l'impression d'être nu et aveugle au milieu d'une vie qu'il ne contrôle pas, qu'il ne contrôle plus.


Un reflet blond passe devant lui, monté sur des bottes en daim. De St G. croît reconnaître Héloïse, l'appelle. La fille ne se retourne pas. Et si elle l'ignorait délibérément ? Il veut l'appeler sur son portable. Aucun numéro au nom d'Héloïse. De St G. a un éclair de lucidité. C'est un complot. Elle a effaçé son nom du répertoire de M. De St G. pour qu'il se croit fou, et elle a couché avec JC pour le mettre dans le coup. De St G. a tout compris. Plus qu'une seule solution, il doit se rendre chez elle et la forcer à des aveu et des excuses pour ce qu'elle lui a fait subir. Pour se rassurer aussi ...


"Que s'est-il passé exactement ? N'omettez aucun détail, s'il vous plaît," fait le médecin, soudain plus nerveux. M. De St G. le regarde fixement et le psy détourne le regard, se passant nerveusement la main sur sa barbe de trois jours grisonnante.





De St G. marche tranquillement sur le boulevard de l'allure assurée de celui qui se sait victorieux et dans son bon droit. Héloïse possède un appartement contemporain rue de Rennes. Arrivé devant la porte d'entrée de l'immeuble, De St G. ne retrouve plus son nom de famille. Comment s'appelait-elle déjà ? Un nom lui semble quelque peu familier, qu'il sonne et il verra bien. Au pire demandera-t-il des renseignements. Une voix féminine, mais fatiguée, un peu cassée malgrè le jeune âge que l'on devine dans l'intonation, maugrée un "oui" agaçé et peu engagant. "Héloïse ?", se hasarde De St G.

Ce n'était pas Héloïse, mais une vieille connaissance de lycée, qui avait à l'époque raconté au tout Paris que M. De St G. était un salaud, ce qui n'avait ému personne et avait même accru l'influence de De St G. au sein du milieu VRP des quartiers d'or de la vieille ville. Mais une question rest ene suspens : comment a-t-il pu confondre l'adresse d'Héloïse, sa muse capricieuse et volage, avec celle de cette pimbèche aigrie et frustrée ? De St G. sent un léger mais désagréable frisson lui parcourir l'échine, traversant sa chemise comme une lame de rasoir. Et s'il avait tout imaginé ? Un rève, Héloïse ? Une chimère, sa délicate petite Kate ? Un innocent, le terrible Pete ? Et lui, M. Charles De St G., juste un pauvre schizophrène, errant dans un Paris onirique, héraut d'une folie biaisée et corrompue par la triste réalité ?

A ce moment de son récit, le médecin le regarde avec une certaine compassion, à peine plus condécendante que la pitié. De St G. a une terrible envie de meurtre, ici, tout de suite, dans ce cabinet. Une envie de zébrer de larges tranches de chair avec un scalpel. Un irrepressible désir de massacrer, de torturer, de voir souffrir physiquement sous ses yeux quelqu'un d'autre que lui. Mais M. De St G. reste impassible, aucun muscle de son visage ne bouge, ses yeux n'expriment aucune violence, mais un simple mécontentement poli. Le médecin a cependant une certaine connaissance de l'esprit des hommes, en particulier, quand ils sont en proie à un désordre tel que connaît De St G. à cet instant. Il préfère donc prudemment se mettre à l'abri derrière son fauteuil, se levant discrètement et se retirant du champ de vision de De St G. Ce dernier réalise alors son incorrection et revient bientôt à des pensées plus pacifistes mais toujours aussi tourmentées, revenant sur cette interrogation qui désormais le hante. Qui est-il vraiment en fin de compte ?

M. De St G. sort du cabinet, effondré. Tout dans sa tête se mélange et tournoie comme une toupie destructrice. Plus rien ne lui semble certain, tout n'est que métaphore trompeuse, mirage de fou, monde d'onirisme décadent et de bulles saumâtres. De St G. descend par les escaliers recouverts d'un velours rouge usé, titubant, s'appuyant sur la barre de bois verni, sur le mur. Il marche à contre-courant du flot humain qui se déverse des bouches de métro, des cafés, des magasins. Dans la rue, les gens le croisent sans le regarder, le bousculent du coude sans s'excuser. Il sent tout-à-coup une vague de froid envahir son corps à la dérive. Ses yeux vitreux de terreur et de folie ne distinguent plus grand chose et roulent de gauche à droite affolés dans la tempête. Des larmes de désespoir perlent et glissent, vaisseaux de pureté, jusqu'au col de De St G. Ses pas l'ont portés au pied de son immeuble, mais les forces lui manquent et il s'écroule sur le palier, à moitié inconscient. Curieusement, il se met à penser à la vieille dame qui s'était assommée sur cette même chaussée et il se demande si un golden boy passera aussi à côté de lui, affairé et arrogant. Peut être même lui marchera-t-il sur la main.Aussi De St G. met-il précipitemment sa main dans sa poche.

Mais aucun golden boy, personne d'autre d'ailleurs ne passe sur la chaussée encore humide et luisante. Combien de minutes, d'heures reste-t-il, dans ce semi-coma, affalé sur le trottoir ? Soudain, il sent une présence à ses côtés, puis une main douce et chaude lui caresse le visage. M. De St G. reconnaît ce parfum si entêtant. Il sent l'émotion le submerger. Ces cheveux blonds en cascade, cette douceur, cette chaleur sauvage qui le prend et l'enivre, ce timbre de voix si exquis, cette présence, c'est Héloïse.

Alors De St G. clot ses yeux douloureux et sombre dans la nuit, comblé.


Monday, September 25, 2006

CONSEILS AVANT DE LIRE L'ACTE I - EPISODE DEUX


J'ai pensé qu'il ne fallait pas laisser tomber quelque habitude peut-être utile, en tout cas, indissociable à la lecture des aventures de M. De St G. Ainsi voici les conseils avant de lire l'acte I ( peut-être lu avant malgré tout ... ) :
1) "Rien en sert de courir, il faut partir à point." DE LAFONTAINE, Jean.
2) Laissons-nous dépraver par : The Rakes, Capture, The Doors, notamment, Alabama song, The End, Hello I love You, Light My Fire, Gloria.
3) Gorgeons-nous de : Kasabian, Empire, dEUS, Pocket Revolution,
4) PLeurons et/ou rions sur : The Flaming Lips, At War With The Mystics, The Divine Comedy, Victory Of The Muse, The Pipettes, We Are The Pipettes ( s'écoute avec une dunhill menthol dans une vieille Mini orange, habillé avec une veste en velours marron, un pantalon jaune et des weston original ... ).
5) Question complémentaire : "la dépression, vous la vivez comment ?" - "Moi, mal." - Toute suggestion bienvenue. Merci d'avance.

Thursday, September 21, 2006

ACTE I - EPISODE DEUX

L'été se meurt doucement, sans bruit ni autre artifice que celui de ses pâles dorures d'automne. M. De St G. finit sa tasse de café, jete un dernier regard à l'océan qui lui fait face et rentre dans la chambre. " Life is contrast," murmure-t-il songeur. La pièce est en effet aussi sombre que le temps dehors est clair, son esprit aussi confus que sa silhouette est harmonieuse. Elle dort en travers du lit, vêtue d'un pyjama en soie bien trop grand. Où a-elle pu le trouver ? Chez ses parents peut-être ? … Il la revoit, deux ans plus tard, deux fois plus belle, au bras d'un autre ... Peut-être l'aime-t-il et qu'il ne le sais pas encore ? ... Il sent décidément bien seul au milieu de cette foule ...

... Mais qu'est-il seulement ? Cogito ergo sum. Mais c'est un peu trop facile. Pense-t-il vraiment par lui-même, ou n'est-il qu'un simple cobaye dans un baquet d'expérimentation à l'échelle de la Terre, jouet tourmenté d'un démiurge fou à lier ?

M. De St G. est donc allé voir son médecin. Il appréçiait pourtant plus ce dernier pour le bon goùt dont il faisait preuve dans son habillement, que pour ses remarques ( toujours vraies ) et ses conseils ( éternellement intelligents ), cette manie en fait de se prendre pour son psy et son gourou à la fois, d'avoir toujours raison. Ce matin, De St G. entra donc un peu fatigué dans le cabinet pour en sortir officiellement dépressif et gratifié d'une monstrueuse ordonnance de médicaments aux noms barbares. Il se dit que ce n'était pas en ingurgitant des formules chimiques tordues, en poudre ou en cachets, qu'il guérira de cette langueur, mais qu'il devrait plutôt s'acheter une nouvelle paire de chaussures. C'était plus agréable comme traitement, et pas forcément plus onéreux ...

Mais M. De St G.doit être plus malade qu'il ne le croyait. Il s'est en effet offert pas une, mais deux paires de chaussures, plus trois chemises, deux pantalons pour aller avec les chaussures, et surtout un manteau extraordinaire en tweed, à mi-chemin entre la gabardine et la redingote, entre le manteau d'hiver et le pardessus chic. Drapé dans sa dépression ainsi l'antique sénateur dans sa toge pourpre, De St G. la porte fièrement, nouvel égire baudelérien en ce nouveau siècle maudit.

Grand-père est mort il y a deux jours, et c'est ce que l'on pourrait presque appeler une circonstance aggravante. Surtout si l'on ne l'a presque jamais vu, ce qui en a fait un mythe. Et se dire que l'on a peut-être raté l'occasion de rencontrer quelqu'un de vraiment intéressant peut provoquer un sentiment de frustration chez le sujet, lui a expliqué le médecin. Frustration qui exacerberait le penchant dépressif de De St G. D'où ladite dépression. CQFD. "Ou pas ..." Car cela réduirait M. De St G. à un attardé mental au niveau relationnel, ce lui semble tout de même un peu exagéré, objectivement analysé. Il doit y avoir une autre raison, plus complexe et plus romantique.
M. De St G. resort pour acheter quelques livres et magazines car il adore se poser sur une terrasse avec un bouquin et regarder les gens, une tasse d'expresso à la main. Sur les avenues et dans les parcs, les arbres se consument violemment en un chatoyant sacrifice de leur verdure, avant que ne vienne l'hiver.

M. De St G. "s'installe" dans le café. Comme à son habitude, il transforme la petite table de la terrasse en un fatra extraordinaire d'accessoires, utiles ou inutiles, qu'il transporte toujours avec lui. Une jeune parisienne ne cesse de le regarder du coin de l'oeil, probablement quelque peu intrigué. Enfin, c'est ce qu'il imagine, car le visage de la fille en question est complêtement masqué derrière de larges et insolentes lunettes de soleil. Elle fume de longues cigarettes, balancées d'une main fine d'un bout à l'autre de la table, rythmant d'un geste élégant sa conversation avec un dos féminin vêtu de pois bleus roi sur fond blanc. M. De St G. commande un expresso avec un verre d'eau, ainsi qu'un paquet de cigarettes de luxe, les seules disponibles dans ce café. Ce qu'il préfère dans l'acte de fumer, c'est ce court instant de gaspillage pur, ce frémissement léger aux premiers rougoiements du tabac, cette brume blanche létale qu'il s'amuse à expirer par à-coups, avec un plaisir un peu gamin, cette sensation égoïste de consommer du temps, de détruire sans but, de dépenser pour de la fumée et de vivre dans l'éphémère. C'est pour cela que M. De St G. fume très peu, afin de ne jamais transformer ce moment exquis en une grise habitude.

Un portable blanc vibre sur le fer forgé de sa table. Elle regarde le nom qui s'affiche sur l'écran, compte machinalement jusqu'à cinq, puis décroche. M. De St G. ne peut s'empêcher d'écouter la conversation…

"Oui ?"
"..."
"Oui, ça va un peu mieux... Je suis sur la terrasse du ***. "
"..."
"Avec MJ."
"..."
"C'est tout, oui ! On prend un coca light, il faisait trop chaud chez moi."
"..."
"..."
"Je sais pas trop. Demain, peut-être..."
"..."
"Je sais."
"..."
"..."
"Si tu veux. Moi, ce type m'emmerde, mais si tu le trouves sympa..."
"..."
"Evidemment. Bon, je te laisse..."
"..."
"Je t'aime moi aussi. A ce soir. Bisous."


Voila. Fin de non-recevoir. Sans appel et définitif. M. De St G. redescend sur Terre. C'est à chaque fois un peu douloureux. Il pense tout-à-coup à Jim Carrey dans Eternal Sunshine Of The Spotless Mind quand il se demande pourquoi il tombe toujours amoureux de toutes les filles qui font un peu attention à lui. C'est exactement la citation qu'il fallait. S'il voulait écrire un bouquin, ce serait un peu léger comme référence culturelle, mais seul dans son cerveau, De St G. n'a aucun complexe à la penser, à la redire tout bas, à se remémorer ce passage du film, Jim avec son vilain bonnet et sa tête de chien battu. A-t-il la même expression ? Les deux filles se lèvent. M. De St G. soupire silencieusement. Mais le dos à pois ne se retournera jamais et les yeux derrière les lunettes-mouche ne se révèleront pas non plus. De St G. en ressent un tel désespoir qu'il croit de bon ton de se prétexter fatigué et de retourner chez lui somnoler dans son salon.

Ce soir, 20h30, concert. Il a accepté de venir jouer en semaine dans un café lounge que tient à temps partiel un de ses anciens amis de fac. Il connaît désormais son répertoire parfaitement, et le trac avant de jouer a presque complêtement disparu. Jouer est devenu pour lui une manière agréable de financer une partie de son train de vie un peu trop décadent et luxueux. Ce soir Guillaume l'accompagnera à la basse comme tous les autres soirs. Cela fait plus de six mois qu'ils font des concerts tous les deux et leur duo ne fonctionne pas trop mal. Des reprises de Radiohead et de Pink Floyd en acoustique, quelques compos calmes. Parfait pour ce genre d'endroit et de fréquentation.

Les deux musiciens se retrouvent devant la station de métro Odéon. Le café où ils doivent jouer ce soir n'est vraiment pas très loin. Un temps d'hésitation devant la porte vitrée qui laisse apercevoir les gens installés à l'intérieur, probablement en train de discuter de la future prestation, s'apprêtant à critiquer aussi violemment qu'ils pourraient aduler. M. De St G. sent monter en lui une vague de mépris, d'écoeurement à cette idée, vite ravalé avec excitation. Il l'a vue. Elle. La fille de ses souvenirs de vacances. Diane. Elle est presque aussi belle que dans ses souvenirs, mais mieux habillée et plus gracieuse. C'est un petit halo de lumière langoureux qui brille courageusement au milieu de post-ados bien habillés, mais ternes et médiocres. De St G. pousse la porte, il la regarde, un serveur vient l'accueillir, suivi du patron. Elle l'aperçoit enfin, le reconnaît, lui sourit gentiment. Une bouffée de chaleur l'étouffe presque, puis lui rend son assurance. Déjà des gens se lèvent précipitemment pour avoir les meilleures places ou pour le saluer. Les spectateurs sont étranges, comme déjà un peu ivres, tournant entre les tables, les yeux hagards, un peu désoeuvrés.
De St G. s'assoit directement sur le tabouret que l'on lui a réservé à côté de la console, pour qu'il puisse contrôler lui-même le son, voire le modifier. Il branche sa guitare, l'accord sonne, étranger, au milieu de la fumée diaphane qui nappe la pièce. Elle prend le visiteur comme une vague, l'étouffe, l'aveugle, et le recrache, initié au milieu des initiés, au milieu d'une pièce ovale, vermeil et or comme le serait l'uniforme d'un jeune officier napoléonien décadent et meurtrier, blasé et arrogant. Tel semble être aussi l'état d'esprit des gens qui observent désormais M. De St G. C'est le moment de commencer à jouer.

La petite foule se disperse lentement et se redispose aux premières tables. De St G. a chanté et joué, on a applaudit, sifflé, boudé, pleuré même, mais discrêtement, avec cette pudeur extrême qui le tue en ce moment. Car De St G. s'est éviscéré minute après minute, tentant d'exorciser son spleen, cette tristesse, cette langueur mélancolique qui l'étouffe, qui l'empêche de vivre vraiment, et qui lui arrache des larmes de rage. Et ce soir, comme tous les autres, les gens repartent, satisfaits, sans le moindre remord de s'être repu de M. De St G. Le spectacle est terminé. Les artistes disparaissent de la scène. Et qui imaginerait que la tristesse qu'ils chantaient tout à l'heure sous les feux, ce mal qui les ronge, les suive dans les ténèbres des coulisses et du quotidien poisseux ?
Au moment de revenir dans la salle principale du pub, De St G. est pris par le bras par une fille qu'il a vaguement rencontré une fois à une soirée un peu minable, et qu'il a aussi vaguement dragué. B. le traîne à sa table, l'exhibe fièrement devant ses amis, s'assied sur ses genoux, le fait boire dans son verre, puis l'embrasse. C'est aussi à ce moment que M. De St G. retrouve Diane du regard, les bras serrés contre sa poitrine, les cheveux en bataille devant ses yeux brûlants de ressentiment, terriblement accusateurs. De St G. a soudain envie de se lever, de gifler et de repousser ce parasite hideux de médiocrité qui l'enlace en ce moment. Il voudrait rejoindre Diane et la prendre dans ses bras, délicatement, comme l'on cueille une frèle rose sur sa tige, sans perdre le moindre pétale. Il lui dirait des je t'aime dans le creux de son oreille et elle sourirait légèrement, gardant ses beaux yeux clos.
Mais il se contente de la saluer d'un sourire un peu triste. Elle incline un peu la tête et se retourne alors, vaguement écoeurée. De St G. se lève lentement de la banquette, prend sa veste et sa guitare, et quitte les lieux. Il appelle un taxi au bord des larmes et de la crise de nerf. Une envie de s'endormir et de tout oublier. Une envie de sombrer définitivement dans cette dépression qui le hante et de se noyer avec délice dans cet océan de décadence noire si tentante.

Tuesday, July 25, 2006

CONSEILS AVANT DE LIRE L'ACTE III


1) Ecoutez cette playlist :
- Gang Of Gin, Fuck Forever, Stix And Stones, des BabyShambles, l'album Funeral, des Arcade Fire, Rock And Roll Queen, des Subways, Lady, des Shades.
- avec une curiosité prudente, l'album Derdang Derdang, des Archie Bronson Outfit.
- "God Save The Queen"( c'est l'intention qui compte ), Keen On Boys, des Radio Dept, Ceremony, des New Order.
- First Impressions of Earth, des Strokes, à mixer avec le Tower Of Love, de Jim Noir.
- Don't Ring The Door Bell, des Raconters, à mixer avec Honest Mistake, des Bravery.
- Monsieur Gainsbourg Revisited, avec en particulier, I Call It Art, des Kills, Emmanuelle, de Tricky, Just A Man With A Job, des Rakes, Requiem For A Jerk, de Placebo.
- "To Conclude...", Cinderella, Catholic Block, Teenage Riot, de Sonic Youth.
2) Commencez par l'acte I, vous comprendrez mieux l'histoire ... Mais ce n'est qu'un conseil, non une obligation.
3) C'était le dernier conseil du dernier acte de la première aventure de M. De St G.
"... L'augmentation de la demande entraîne la hausse de la production ..." Vous voià avertis.

ACTE III


L’avenue était balayée par une pluie orageuse. Elle ressemblait au pont d’un gigantesque vaisseau en perdition au cœur d’une effroyable tourmente, recouverte par des vagues de pluie. Ses arbres étaient ployés par la fureur du vent comme de hauts mâts craquants, se courbant sous la tempête. M. De St G. avait refusé le taxi que lui proposait le domestique en livrée à la sortie. De larges gouttes chaudes venaient s’écraser sur son manteau comme des éclaboussures grises sur la toile crème, et les bourrasques de vent jouaient avec les pans détrempés, battant le tissu sur ses jambes flageolantes. Cependant De St G. ne remarquait rien, ou plutôt, il voyait bien la pluie qui l’inondait, il sentait bien le vent qui le poussait, mais comme au travers d’une vitre de train filant à travers les prairies. Il se sentait hors de ce corps, de ce personnage qu’il s’était prit à haïr profondément, plus que quiconque sur cette terre. Il aurait tellement voulu être autre. Une autre comète, plus simple et plus colorée, traversant plus vite et plus facilement l’espace de la vie.
M. De St G. eut une terrible envie de s’écrouler sur le macadam tiède et ruissellant et de pleurer sa vie gâchée, noyée par l’égotisme, la superficialité et le mépris. Seule la vue d’un couple sortant bruyamment et joyeusement dans un chatoiement de lumières chaudes le força à garder contenance et à faire semblant de se promener d’un pas nonchalant. De St G. préfèra s’asseoir sur un vieux banc vert sombre entre deux marroniers frissonnants au vent. Perdu dans son délire il ne remarqua pas une fois encore la jeune femme du concert qui lui avait adressé un regard si troublant, si étrangèrement familier, que De St G. avait battu en retraite plutôt que de l’affronter.
" Cela vous dérange si je m’assois à côté de vous ? ", fit-elle en refermant son parapluie, offrant ainsi son corps aux eaux torrentielles.
" Oui," songea lâchement M. De St G., avant de la gratifier d’un faîble sourire accompagné d’un simple geste de la main lui proposant de s’asseoir.
" Je m’appelle Kate Witnoy," lâcha-elle en guise de présentation, avec toujours ce léger accent qui arrondit délicieusement les syllabes, faisant jouer sur ses joues en ce moment une fossette triste. " Vous m'accompagnez ? On ne peut pas rester là …", ajouta-t-elle avec une petite moue mélancolique.
************************************************************************************
M. De St G. presse machinalement les écouteurs de son Ipod dans ses oreilles, comme pour s'enfoncer plus violemment dans le crâne la musique hypnotique de God Speed You Black Emperor, ovni-rock électro, mystérieuse visionnaire de l'âme humaine. Sa course rythmée suit les battements sourds de la basse. Ses bras, métronomes de chair, propulsent tout son être dans cette fuite absolue et la rendent presque irréelle, comme affranchie de toute dimension temporelle.
" Si je veux la rattraper, j'ai intérêt à passer par la rue de Rennes ", réfléchit De St G tout en essayant de conserver un souffle régulier, pour tenir.
Les souvenirs d'elle lui viennent par fragments, épars, comme si l'on avait jeté des piles de photos de polaroïd sur le sol. D'abord lui revient l'image de sa silhouette mince, presque fantômatique, aggrippée à son bras pour ne pas glisser sur le boulevard noyé par les pluies orageuses. Une marche silencieuse dans un Paris désert, trouble, et sombre et lumineux à la fois. Un Paris qui s'endormit dans les eaux, un Paris qui les enveloppa et les aspira dans la nuit, ces deux êtres qui se croyaient las de jouer à vivre et qui s'apprêtaient à redécouvrir l'émotion toujours vierge de l'amour.
Cette première rencontre semble maintenant encore proprement "magique", alors que M. De St G. s'épuise dans une course effrénée pour rattraper Kate qui s'enfuit en train rejoindre son époux à Londres.
***********************************************************************************
" Ce soir-là, elle a dormi dans ma chambre, ruissellante d'eau et de tristesse. Pete et Kate s'étaient mariés il y a à peine sept mois. " You know, le type qui chantait dans le groupe avant que tu n'arrives, c'est mon mari …". Oui, je le connaissais bien ton mari. Il est même parti avec mon ex-future-petite amie. Je me souviens m'être enfonçé dans le cuir fauve usé de mon club dans le couloir de l'entrée, près du vitrail, renversant une tasse de café froid sur des partitions en vrac à mes pieds. Je me suis roulé dans mon imper et j'ai pleuré silencieusement dans le noir. Par hoquets discrets, avec peu de larmes, pleurant sur moi-même, égoïste et aveugle que j'étais, pleurant la mort de ma chimère amoureuse. Je n'eus à ce moment aucune pensée pour Kate, incapable d'imaginer que son calvaire à cette heure puisse être autant sinon plus douloureux que le mien."
***********************************************************************************

M. De St G. ralentit son allure inconsciemment, alors que les souvenirs lui deviennent de plus en plus clairs et précis.
" Réveil le lendemain en début d'après-midi sous un soleil encore pâle, bien que l'éphéméride indiquait fièrement le début de l'été. Je me rappelle la façon qu'avait Kate de dormir, s'appropriant toute la largeur du lit, ayant rejeté dans son sommeil les draps qui la couvraient. Je la trouvait ainsi allongé sur le dos, son visage caché par ses longs cheveux sombres, si fins qu'ils semblaient presque irréeels, tissu fantômatique et obscur. Elle n'avait gardé que son pantalon et son dos nu s'offrait à mes yeux, ainsi une sculture parfaite dans un marbre chaud et velouté, les vertèbres délicatement dessinées. Le lourd rideau de ma chambre était entrouvert et un rayon de soleil malicieux jouait avec les fossettes de son corps encore endormi."
" Combien de temps est-elle restée chez moi ? Trois jours, deux semaines, un mois ? Je ne sais …Fourbe Chronos. Et quand suis-je vraiment tombé amoureux d'elle ? Le premier soir ? Ou le lendemain lorsqu'elle s'est levé lentement du lit pour m'embrasser, une étrange lueur dans ses yeux verts d'eau aux reflets dorés ? Quand je la pris par la main pour la guider dans les innombrables rues de Paris, l'invitant dans tous mes endroits préférés, ces petits cafés intimistes à la décoration lounge ou au contraire, au style Louis XVI décadent, ces terrasses chics inondées de soleil donnant sur des trottoirs animés, mais aussi quelques carrés de pelouse verte inconnus des touristes et de la foule proche de l'Ile-de-la-Cité ? Ou alors quand elle me joua Sunday Morning sur ma guitare acoustique un peu désaccordé dans une reprise sensuelle et romantique que n'aurait sûrement pas renié Lou ?"
***********************************************************************************

Comment retranscrire l'avalanche de souvenirs qui déferlait désormais, destructrice, à l'intérieur de la tête de M. De St G. ? Il arriva devant la gare, haletant. La musique avait changé et l'ambiance, également. En effet, c'était The Subways qui résonnait dans ses écouteurs. Leur rock garage minimaliste mais terriblement efficace avait électrifié l'atmosphère autour de De St G. Il n'était plus question de la laisser partir : devrait-il perdre un poumon dans sa course, il la rattraperait pour vivre avec elle pour toujours. Il l'aime, c'est évident. Peu importe ce qu'elle lui a dit ce matin, il la ramènerait à la raison. Comment peut-elle lui préférer ce Pete qui l'a trompée sous ses yeux ? C'est ridicule …"Ou pas …"
La gare est immense, le toit est beaucoup plus haut que M. De St G. l'avait imaginé. Les gens se bousculent sans se voir, se croisent sans se saluer, le monde tourne ainsi, individualiste et impersonnelle en même temps, bien que De St G. ne puisse s'y habituer. Où est-elle ? Des centaines, des milliers de gens grouillent dans le hall. Il ne la voit pas. Il consulte le tableau d'affichage, les yeux levés sur les grosses lettres blanches qui tourbillonnent sans cesse, la nuque ployée en arrière comme ses voisins.
" Son train part dans sept minutes," calcula-t-il rapidement, retirant inconsciemment ses écouteurs. Car, la pièce se terminait ici, dans ce hall, et c'était désormais à lui de choisir la fin. Plus de musique, plus de magie, plus de métaphores trompeuses. La vie, la vrai vie, brutale, poisseuse du quotidien, terrifiante et sans rémission aucune.
Aura-t-il donc le courage de la laisser partir, Kate, ce doux rève, cette mélodie de chair et de désir ? Ou devra-t-il s'obstiner dans sa quête d'absolu ? Et doit-il laisser la vie lui filer entre les doigts pour s'évanouir en une vapeur d'onirisme déshumanisé ? She looks like the real thing. She tastes like the real thing. My Fake Plastic Love…
M. De St G. n'a plus le temps de s'adonner à de telles pensées car il vient d'apercevoir la silhouette adorable de Kate avec un sac du Bon Marché, traverser le hall avec un empressement nerveux, l'air absent. La foule s'estompe peu à peu de son champ visuel, seule reste Kate. Lumineuse et belle, tellement belle. But I can't help the feeling. I could blow through the ceiling. If I just turn and run. And It Wears Me Out, it wears me out …
Kate ne l'a pas vu. Il semble à M. De St G. qu'il n'aurait qu'à tendre le bras pour la rattraper et la ramener chez lui. Elle est là, habillé d'une simple robe noire empire vaporeuse qui sublime sa taille et ses jambes fines. Elle porte ses lunettes de soleil en bandeau, mais une mèche réticente et affolée danse sur sa joue pâle. And if I could be who you wanted. If I could be who you wanted. For all the time, all the time…

***********************************************************************************

- Pete m'a appelé ce matin à 7h. Il rentre à Londres. Il veut que je le rejoigne. Il m'a dit qu'il regrettait pour l'autre soir, mais qu'il culpabilisait énormément."
- C'est vraiment original, ça ! Il s'est fait plaquer par Héloïse et maintenant, il te rappelle ! C'est tout ! Ce n'est qu'un sale con. ( Parfois, M. De St G. pouvait être terriblement haïssable. C'est ce qui lui arrivait ce matin-là ).
Kate se retourna et le regarda d'un œil si pénétrant et si noir que De St G. sentit un profond malaise monter en lui et il préféra détourner le regard. Une boule se formait dans sa gorge et se yeux lui piquait désagréablement. Il se tint appuyé contre le pène de la fenêtre, faisant semblant d'observer avec application le traffic en bas de l'immeuble. Mais, en réalité, il ne voyait pas vraiment quoi que ce soit. Il ne voyait pas en effet cette grosse berline rutilante de médiocrité emboutir consciencieusement ses voisines pour se garer quelques mètres plus près de son immeuble. Il ne voyait pas non plus cette petite vieille Burberry, traînée par son caniche hideux, trébucher, heurter le bord du caniveau et rester inanimée sur le trottoir. Il ne vit pas encore plus ce flamboyant cadre en costume italien sortir de la berline, alerte dès le petit matin, et faire un écart sur le trottoir pour ne pas frôler le corps à terre, décharné et grotesque, toujours enchaîné à l'affreuse petite créature velue qui aboyait sur sa maîtresse.
- Je pars le rejoindre, continua Kate. Il a besoin de moi, je suis sa femme et je l'aime de toute façon. Je te rappelle lorsque je suis arrivé à Kensington Church Street.
- Je … Peut-être …, articula péniblement M. De St. Tu fais une erreur de partir si vite… Réfléchis bien … Les mots ne venaient pas, il n'arrivait pas à lui dire plus simplement qu'il était fou amoureux d'elle et qu'il la voulait à ses côtés pour le restant de ses jours…
***********************************************************************************
Elle est partie ainsi. Sans un bruit. Précipitemment. Sans bagage, abandonnant son parfum immortel entre les murs blancs des vastes pièces de son appartement. M. De St G. s'en enivre, fou, perdu dans son sépulcre de pensées et de sensations. Il reparcourt le chemin qu'elle prenait pour aller du lit au salon, pour se nicher dans le fauteuil en face de la grande fenêtre pour absorber la douce chaleur des premiers rayons du matin. De St G. se roule en position fœtale dans les profondeurs satinés du fauteuil et ferme ses yeux voilés.
Moins d'une heure plus tard, il est immobile dans ce hall inconnu, au milieu d'une foule grégaire et sans visage. Kate se tient devant le tableau d'affichage à quelques mètres de lui et elle tente d'arranger sa mèche de devant, sans succès. Sa main tremble un peu. Elle tourne le dos à De St G. et marche d'un pas faussement assuré en direction de son train.
" Il suffirait que je l'appelle par son prénom, ici, maintenant, pour qu'elle reste à Paris avec moi, songeait M. De St G. Il la voit porter son mouchoir à ses yeux qu'il imagine perlés de larmes, scintillantes sous les halos un peu crus et vulgaires des néons.
Alors M. De St G. remit ses écouteurs, se retourna lentement et sortit de la gare. C'est un beau dimanche matin de mai.
***********************************************************************************
Sunday morning, praise the dawning
It's just a restless feeling by my side
Early dawning, Sunday morning
It's just the wasted years so close behind
Watch out, the world's behind you
There's always someone around you who will call
It's nothing at all
It's nothing at all

***********************************************************************************
FIN

Monday, July 10, 2006

CONSEILS AVANT DE LIRE L'ACTE II



1) D'abord j'arrête d'écrire des conneries comme pour la première note des "Conseils ... "
2) Ecouter cette playlist ( enfin ... ) :
- Compil Brit Pop, un peu daté, mais toujours sympathique, The Bravery - Honest Mistake, Bloc Party - Helicopter, The Futureheads - Meantime, 22 20s - Such A Fool, Moving Units - Between us and them, Interpol - Evil, Hard-Fi - Cash Machine, Kaiser Chiefs - I predict a riot, The go! team - Ladyflash, The Magic Numbers - Anima sola, Willy Mason - Oxygen, Nine Black Alps - Cosmopolitan, Maximo Park - Apply some pressure, Radio4 - Absolute affirmation, The Subways - You Got Me, LCDsoundsystem - Movement, The Kills - The good ones, The Others - Lackey, Duke Spirit - Lion Rip, Fleeing New York - Hollywood Bowl.
- The Best Of Lou Reed and The Velvet Underground ( assez grandiose tout de même ... ).
- The Troes, des Two Gallants ( voix grunge sur mélodies pop folk ).
- Kid A, de Radiohead ( à écouter entre Hail ... et OK Computer, enfin à mon humble avis... ).
3) Vous pouvez rajouter quelques autres chansons de The Kills si vous voulez, je suis un grand fan. Vous me feriez plaisir...

ACTE II



Aux alentours brumeux de l’heure de minuit, M. De St G. mirait les reflets de son verre rouge qu’il avait commandé des verreries véniciennes, en ce moment, à moitié rempli d’une vodka moscovite accompagné d’un zeste de citron vert. Il savourait ce moment de plaisir esthétique et gustatif pur, appréçiant autant le breuvage, à la substance devenue veloutée par la température extrème de son congélateur, que le jeu du liquide dans le verre, mouvement de balancier, métronome mouvant dans cette prison de pourpre.
Des vibrations répétées et brutales de son portable le rappelèrent au monde de la contingence matérielle : Héloïse l’attendait au bas de son immeuble, " Dépèche-toi, tout le monde nous attend !". M. De St G. enfila son imperméable, vida son verre d’un geste de condamné à mort, éteignit les lumières, transformant la pièce vivante et chaude en un nouveau monde, bleuté, froid et légèrement inquiétant. Il claqua la porte, moins pour s’assurer qu’elle serait bien fermée que pour se réveiller.
Héloïse patientait dans la cour intérieure dans la semi-pénombre, ravissante et mystérieuse dans une robe moirée à fourreau. Son parfum, soldat d’élite bien commandé, assaillit De St G. comme d’habitude. Ce dernier remarqua également que le "tout le monde" se résumait en réalité à un troisième personnage, ombre chinoise près d’une Mini dorée.
" Tiens, tu as gardé la Mini, " fit remarquer M. De St G. en guise de salutations, soudain méfiant devant cette nouvelle apparition. Héloïse le regarda avec un mélange d’agacement et d’ironie et se tourna dans un revers de cascade de cheveux blonds vers le nouveau venu avec un demi-sourire.
" Charles, je te présente Pete Craig, le guitariste des Second Wages. Pete, voici le fameux M. De St G. " Le nommé "Pete" le salua en l'appellant "Charles". Et de ses lèvres, le prénom de De St G. lui parvint comme déformé, perverti, difforme. Ce n’était plus lui, mais une version ordinaire, nominalisée, réduite et réductrice de son personnage. Pete le regarda avec le sourire parfait du minable qui a cousu sur sa propre vacuité le costume de l’artiste, ultime blasphème pour M. De St G. Héloïse, anticipant une réaction quelque peu emportée de ce dernier, le prit alors par le bras pour l’entraîner vers la voiture. Enchaîné, De St G. ne dit mot et se plia aux exigences de sa Circée.

************************************************************************************
Le lieu était tel que De St G. l’avait imaginé : un immense appartement trônant au milieu de résidences hausmaniennes dans le VI°. Des lumières aux fenêtres lançaient leurs éclats bruyants dans la contre-allée de l’avenue, séduisants et dangereux comme les feux des naufrageurs. Un chauffeur attendait pour garer les voitures, et il attrapa au vol les clès de la Mini sans lever les yeux sur le trio qui en sortit, très professionnel. Puis un autre domestique vint leur ouvrir.
Au moins une centaine de personnes se mouvait entre les pièces vides de toute décoration de l’appartement, métaphore quelque peu cynique des gens invités ce soir. C'était toute la population clinquante et disparate du Paris rock qui s’était déplaçée.
Un observateur étranger aurait d’abord parlé de cheveux avant toute chose pour la décrire : toute sa singularité s’évanouissait en effet sous une masse hirsute noire à reflets blonds, couronnée par d'extrav agantes paires de lunettes noires de toutes formes, mais toutes griffées. Pouvait-on ensuite distinguer la rayure, de préférence noire et blanche, comme le panache blanc de cette foule, grégarisée par une mode oppressive et omniprésente, imposteur, fausse maîtresse du manège des époques.
L’arrivée de Héloïse et de ses deux cavaliers provoqua un mouvement de reconnaissance dans la foule. Pete devait jouer ce soir car M. De St G. l’apprit de la bouche même de ce-dernier. Décidément, De St G. ne pouvait supporter son minaudage insolent et ridicule. Héloïse les poussa vers le salon principal où une scène improvisée trônait, surélévée par une estrade en acier. Trois personnes y avaient déjà pris place. Lorsque Pete les eût rejoint, on eu dit alors un clonage bâclé des Strokes. Tout l’artifice y était soigneusement reconstitué, costumes d’époque, sons identiques, instruments mimes.

************************************************************************************


Le concert fut donc une catastrophe. En effet, les Second Wages excellaient dans le réchauffé artistique, dans le rock de seconde main. Aussi les quelques VIP de l’underground parisien qui étaient présents regardèrent avec mépris et dédain les gamins qui étrénaient leur mèche d’Albator, leurs jeans étroits, leurs T-Shirts rayés de rigueur, applaudissant devant une formation d’opérette, devant un ballet-bouffe qui tournait au sordide de la parodie involontaire.
Pourtant De St G. ne prêtait attention ni à la musique, ni au groupe, ni aux spectateurs, originaux ou clones. Il était captivé par la vision de Héloïse, un peu en retrait dans la pièce, le visage à moitié masqué par l’ombre. Seuls brillaient ses yeux : ils semblaient comme cadenassés sur la silhouette de Pete.
Et Héloïse, comme M. De St G., fut surprise par les applaudissements, les sifflets, les huements qui accompagnèrent la fin du concert.

************************************************************************************


Pendant que les pantins exhibaient leur nihilisme de supermarché, on avait installé dans les deux autres salons de larges canapés lie-de-vin autour de tables basses en ferronnerie sur lesquelles on déposa de petites lanternes assorties aux tables. Leur lumière orangée douceureuse nimbait la salle de discrêts halos colorant de jour et de nuit les lourds rideaux de velours pourpre couvrant les murs. Cette façon d’arranger ces salles transforma ce début de soirée pitoyable en un élégant et impudent retournement de situation. Du moins, ce fut ce que crût sentir intuitivement M. De St G.
C’était sans compter sur le génie proprement démoniaque de Héloïse quand il s’agissait de " love affairs ". Et De St G. l’apprit bientôt à ses dépens. En effet, celle-ci se mit à réclamer la tête de De St G. au bout d’une guitare, scandant de façon hystérique son nom, bientôt repris par le gros de la foule, décidément conne jusqu’au bout. Jamais De St G. ne la haït autant qu’en ce moment-là.
Il fallut cependant grimper sur la scène, la tête haute, d’un air majestueux, genre " place aux professionnels ", devant des Second Wages repoussés aux seconds rangs.
" Si elle me provoque, elle va voir de quoi je suis capable …, " grommela De St G., en retirant son imperméable et en jetant un œil aux instruments laissés sur l’estrade.

************************************************************************************


C’est une folk électro-acoustique qu’il choisit, parmi une Fender Telecaster et une Les Paul dorée de très mauvais goût. Des dizaines de paires d’yeux le scrutaient intensément comme s’il était le Messie en haut du Tabor prêt à les sermoner. Pourtant, en cet instant, M. De St G. ne regardait que Héloïse qui avait aggripé la main de Pete, tout en lui décochant un demi-sourire narquois et provocant qui frappa De St G. en plein visage comme une violente giffle. La douleur était devenue si intense qu’il lui semblait sentir son cœur se comprimer comme celui d’un oison gelé à l’agonie sur l’herbe verglaçé. Les cris de semonce de la foule lui parvenaient comme de lointains échos d’un monde étranger, ignoble, écoeurant, abject, qu’il voulait fuir, fuir aussi loin que lui auraient permis les frontières du sensible et de la raison.
De St G. aurait voulu être fou ou simple d’esprit pour ne plus ressentir de façon aussi lucide et violente de telles émotions. Comme il devait être mille fois plus doux d’être con… L’intelligence est décidément le pire don que l’on puisse hériter dans un monde aussi détraqué et aussi inique.
Alors que M. De St G. promenait son regard de bête malade et démente sur son peloton d’exécution, ces rangées de barbares pseudo-eugénistes, un être lui tendit la main de son enfer. Des jambes de femmes à moitié enveloppées dans un pantacourt noir montèrent sur la scène aux côtés de De St G. Des mains longues et fines, fuseaux de chair veloutée, empoignèrent une barre de micro et une guitare basse blanche.
" Je connais toutes vos chansons, " avança dans un souffle une voix délicatement rauque, mais extrèment féminine, avec un léger accent. Sûrement britannique.

************************************************************************************


M. De St G. fit donc son concert. Il dura un peu plus d’une heure. Mais il fut sûrement le plus beau de sa vie de musicien. Toutes ses chansons les plus mélancoliques, les plus troublées, les plus passionnées, résonnèrent de façon inédite dans son cœur et touchèrent même les invités, surpris de sentir une telle intensité et une telle tristesse. Cependant elles n'atteignirent, n’effleurèrent même pas celle pour qui il avait chanté. En effet, Héloïse avait préféré fuir avec son nouveau jouet dans un autre salon, de ceux que De St G. avait lui-même vanté l’esthétisme et le goùt.
Insensible aux applaudissements, aux félicitations, sans regarder une seule fois la femme qui avait joué de la basse pour lui, il resserra la sangle de son imper autour de sa taille, encore étourdi de ce qu’il venait de vivre et de ressentir. Le visage blâfard, il descendit de l’estrade en chancelant. Il s’approcha du mini-bar installé au fond de la salle et s’assit sur un trépied surélevé. Tandis que le barman lui préparait un vodka "on-the-rocks" dans un verre à coktail, il observait d’un œil distrait la foule qui se dispersait lentement dans les différentes salles, autour des tables, en bavardant naïvement, inconsciente de la tragédie qui s’était jouée lors de ce concert et dont le personnage principal venait mourir en s'échouant ici.
M. De St G. fut pris de nausées violentes; un brouillard opaque, taché de couleurs ocre, rouge sombre et bleu nuit, troubla ses sens. Il porta rapidement son verre à ses lèvres, comme si ce fut l'ultime médecine à tous ses maux. L'alcool descendit puissamment en lui, purifiant ses malaises et dissipant quelque peu la douleur. Il vit alors cette même silhouette qui avait grimpé sur la scène, ce pilori, avec lui. Jamais il n'aurait cru que quelqu'un pouvait ressentir les mêmes émotions que lui. Et pourtant il les lu sur le visage de cette femme aussi distinctement qu'il les avait ressenties en son fors intérieur.

************************************************************************************


Un très beau visage, encadré par une longue chevelure de geais, qui lui coupait presque le visage dans sa longueur. Un menton pointé en avant, l'air extrèmement chic et envolé. Un nez long et boudeur. Des yeux immenses et désespérement noirs. Des yeux tristes comme une chanson de Radiohead, comme une bruine sur les immeubles sombres, la nuit. Des sourcils, noirs également, qui se plient en accents de rage sur un beau et large front de porceleine.
Un corps élançé et charmant, adulescent dans sa manière de se mouvoir, comme une geste de ballerine. Un chic fou dans sa façon de le vêtir, ce corps, de le transcender, de l'émanciper de la simple perfection vers une sublimation toute esthétique.
Rarement M. De St G. ne vit une femme aussi belle. Mais jamais, il n'en vit une capable de le comprendre. Et c'est cette faculté particulière de cette inconnue qui l'effraya à ce point. A son approche, il sentit son être trembler, suffoquer, souffrir. Il était si mal à l'aise qu'il fuit du bar, comme ivre, hésitant sur ses jambes comme un très jeune enfant, s'appuyant sur un dos, un mur, une porte. Il passa devant un couple allongé enlaçé sur un canapé. C’est alors qu’il reconnu le rire de Héloïse et se couvra les oreilles. Il traversa le dernier salon après ce qui lui semble une éternité. Les gens le regardaient comme un animal étrange perdu dans son propre délire, comme l'on observe avec pitié, mais avec mépris aussi, un pauvre bougre ivre-mort, un moribond qui se précipite sur son propre échafaud.
FIN DE L'ACTE II

Saturday, July 08, 2006

CONSEILS AVANT DE LIRE L'ACTE I


1) Ecouter la playlist ( qui n'en est pas vraiment une ) suivante, selon vos dispositions :
- de Air, Alone in Tokyo, Alpha Beta Gamma, Universal Travelller, Sex Born Poison, Venus, Surfing On A rocket, Another Day, Sexy Boy, All I need, Playground Love, Kelly Watch The Stars, Cherry Blossom Girl, Biological.
- de Animal Collective, l'album Sung Tongs.
2) Etre habillé précieusement, que ce soit d'un peignoir d'hermine ou d'un costume griffé.
3) Avoir l'esprit suffisamment perçant pour y voir un pastiche d'autobiographie tourné en 3 actes tragiques.
4) Le conseil n°3 est quelque peu foireux et j'imagine aussi que tout le monde est toujours bien sapé quand on lit un blog-roman.

Monday, July 03, 2006

ACTE I


M. De St G. avançait sur une allée étroite bordée d'un côté par la rive du Grand Canal et de l'autre côté par des bois élégants. Drapé frileusement dans les pans de sa gabardine bleu nuit un peu trop large pour lui, il prenait soin de ne point maculer de terre humide ses mocassins de cuir fin, décidément peu adaptés à une promenade tardive dans le Parc après une averse. L'esprit concentré à la fois par ce que venait de lui dire Héloïse et par sa marche de jeune chat discret, il ne s'aperçut pas tout de suite du drame qui se jouait, comme tous les soirs en ces lieux. Car le Soleil, ayant fait la cour tout le jour aux Arbres hautains, attendait toujours le soir pour embraser les feuillages des peupliers dans un jaillisement de flammes mordorées, holocauste d'amours virtuelles élégiaques.
M. De St G. s'arrêta un instant, posa sa main sur le tronc de l’arbre en feu et leva les yeux vers le Château. La beauté presque surnaturelle du spectacle de ce brasier d'illusioniste le sortit de ses pensées stériles. Le vent jouait autour de lui et dans les branchages dorés, une sonate délicieusement apaisante. Nonobstant la boue, oubliant quelques temps celle qui le faisait tant souffrir, l'artiste s'assit sur l'herbe émeraude, scintillante dans son écrin de perles de pluie. Ainsi ce soir-là composa-t-il comme rarement il n'avait jamais composé. Il écrivait désormais commme un Néron moderne devant sa Rome en proie à la pyromanie créatrice : pris par la passion transcendante de la poésie, l'homme se consumait lentement pour se laisser renaître, plus neuf et plus beau.

************************************************************************************
Suivant machinalement des yeux le sillon aveugle que traçaient les gouttes sur la vitre du taxi, M. De St G. songeait à cet étrange fin d'après-midi, cette communion sylvestre, presque charnelle. Violente, choquante, inhumaine, païenne. Il serra instinctivement contre lui ses carnets où il avait noté pensées, quatrains, dessins, lignes de solfège esquissées dans les marges. Il se sentait apaisé, comme soulagé d'avoir ressenti une fois encore cet élan poétique schizophrène, de plus en plus rare ces derniers mois. Trop occupé à distraire son esprit. Il sortait trop, il buvait trop, ne fumait plus assez pour calmer ses nerfs et ne dormait plus du tout.
"Normal", se prit-il à penser.
Mais quel névrose de son inconscient avait vomi en son âme cette romantisme létal ? Qui avait fait éclore cette rose noire vénéneuse aux ramifications dévorantes ? Il pouvait presque sentir ses lianes enserrer, enchaîner, ligaturer ses os, sa chair meurtrie par la mélancolie. Peut-être que la source de ce spleen effroyable avait pour nom Héloïse. Mais peut-être n'était-elle en réalité qu'une couverture factice, un alibi à sa terrible envie d'aimer une femme. Car à la recherche de la féminité déifiée, M. De St G. se sentait dépérir dans sa quête d'un absolu amoureux grandiose et destructeur, d'un alter ego féminin, d'une Vénus de Metropolis. Peut-être même que cette souffrance romantique à l'extrême lui était désirable et n'était que l'ultime lien à son instinct de conservation. Et Héloïse n'était-elle donc que le simple reflet de son animalité ?

************************************************************************************
M. De St G., masochiste autoproclamé donc, se réveilla tard dans la matinée. Il avait travaillé jusqu'à l'aube pour donner un cadre parfait à ses compositions, sans y réussir complêtement évidemment. Il but une gorgée de café froid dans une des nombreuses tasses qui se répondaient en un léitmotiv décoratif mais original dans l'appartement. Vivifié par une courte douche, il enfila un pantalon noir cigarette et un polo blanc, attrapa sa saharienne sous le bras, un bouquin de poésie et son Nano, et sortit.
Ainsi prit-il la direction du café de la rue St G*** et s'installa à l'une des tables du fond. Suivit alors ces quelques minutes de vide entre le moment où vous vous êtes assis et celui où le serveur se décide à se déplacer vers vous pour enregistrer la commande. " Quel con", pensez-vous alors agaçé du manque de servilité évident de ces gens. Mais De St G. n'était jamais agaçé. De plus, il se sentait trop las aujourd'hui pour feindre l'impatience. Il commanda, environ vingt minutes après son arrivée, une grande tasse de café brézilien, du jus de kiwi, un peu de chocolat noir amer. Il enfonça ses écouteurs dans ses oreilles encore endormies, esquissant un léger sourire en reconnaissant le son acide des guitares de Sonic Youth. Brute, mais toujours raçée, la musique du groupe indé new-yorkais remplissait d'envie De St G., pour le côté punk intello progressif surtout.
En ce moment il relisait les poèmes de *** avec la même innocence que lorsque qu'il se réfugiait, jeune étudiant, dans les amphis à moitié vides des universités parisiennes pour lire de la poésie et de la littérature, refusant de se ranger dans le monde d'efficacité et de matérialité qui semblait l'attendre.
"Ce béhémoth ... ", laissa-t-il échapper dans un souffle.
Devenu pleinement artiste, d'abord pour étancher sa soif maladive de créer, puis pour lui permettre de conserver cet écran de superflu entre le monde réel et son imaginaire, De St G. avait opté pour la musique et la composition romantique rock. Un de ses amis avait dit de lui, " un Tom Yorke avec l'apparence d'un mannequin de Prada et la guitare des Velvet ". Curieux mélange. Qu'était-il donc vraiment ? Un subtil patchwork de genres ? Trendy ou suranné ? Original ou originel ? Artiste ou plagiat ? Bande-annonce ou générique ?

************************************************************************************
Héloïse arriva trois quart d'heure plus tard. Comment décrire ce flou éblouissant mais étourdissant qui balaye toutes les couleurs, les odeurs, les impressions à chaque fois qu'elle rentre dans une pièce, pour les transformer en un ballet surréaliste, purée de folie enfantine et de luxe désabusé ? Elle était habillée d'un jean slim et d'un haut à pois noir sur fond blanc, ample et trop court à la fois, parfaitement sage et ainsi terriblement provocateur. Traînant à son bras un énorme sac blanc, elle se campait sur ses minuscules ballerines dorées, observant d'un sourire éclatant de fossettes M. De St G. resté assis. Il ne savait pas si c’était sa beauté ou si c’était son aura extraordinaire qui la rendait si désirable et si terrifiante à la fois. Il se sentait tout d'un coup réduit à la position d'un pion ou même d'une proie et il savait qu'il ne pourrait résister longtemps à ses assauts si un miracle ne se produisait pas dans les minutes qui allaient suivre.
Le miracle ne vint pas, et Héloïse obtint de son "rockeur préféré" qu'il l'accompagne à une de ses soirées parisiennes pleines de bruit, de lumières électriques et de luxure suintant des murs épais d'appartements sans fin. De ces soirées où toute la scène alternative rock fashion traîne son ennui d'être en vie, mais aussi sa morgue et son insouciance aux portes d'un monde qui se perd dans ses propres paradoxes et ses syllogismes mortifères.

************************************************************************************
M. De St G. buvait son café, froid une fois encore, par de petites gorgées pleines de cette lassitude qui plie tranquillement toutes nos joies en ternes habitudes. Il n’osait écouter et encore moins regarder l’espèce de fashion-gorgone qui s’étalait sur sa banquette avec la souplesse d’un félin prédateur. Son sourire, les canines découvertes, le mettait décidément mal à l’aise, l’intimidait aussi.
" Tu es très belle aujourd’hui," osa-t-il péniblement, soudain choqué de son outrecuidance. Héloïse se contenta de le regarder avec le même sourire en coin, la même dent perlée mordant délicatement l’incarne sublime de ses lèvres. Puis elle haussa légèrement les épaules, faisant voler la vapeur blonde de sa chevelure d’un air de dire " Evidemment !". C’est ce que De St G. préférait chez elle, cette superbe authentique, comme un incroyable doigt d’honneur à la plèbe hideuse et vulgaire. Pourtant, à ce moment-là, De St G. crut déceler dans ses yeux une envie plus profonde, mais aussi plus douloureuse que le simple flirt. Mais lui, il lui en voulait toujours pour l’avoir déstabilisé à ce point et ne répondit point à son appel muet.
" Il semblerait que notre relation soit voué à un éternel jeu d’attraction-répulsion, dans une sorte de no man’s land dans l’amour conventionnel. C’est vraiment chiant... Je n’arriverai jamais à lui avouer que je l’aime, et elle, elle est décidément trop orgueilleuse pour l’admettre," songeait De St G. en finissant son café.

************************************************************************************
Héloïse, partie, subsitait auprès de lui à sa table gràce aux effluves de son parfum, lourd et capiteux, semblable à une riche et épaisse ouate de cachemire, douceureux, chargé de fragrances presque imperceptibles mais incroyablement sensuelles. M. De St G. était vraiment amoureux d’elle, il en était sûr désormais. Ce soir, il faudra le lui dire, cela devenait urgent. Pourtant il appréhendait toujours ces soirées, surtout pour la réputation de connard talentueux qu’il s’était faîte.
Quand il fut rentré dans son appartement, il jeta sa veste, restée inutile ce matin, la douceur printanière accueillant les premiers rayons d’un soleil estival. Il aggrippa sa guitare, un cadavre ivre-mort appuyé sur un mur de l’entrée et s’enferma dans son "boudoir", ainsi qu’il avait surnommé sa salle de répétition qui faisait également office de modeste studio. Il s’affala dans un massif club marron fauve, les yeux clos, toutes ses pensées concentrées sur cette soirée, sur ce qu’il devrait faire et dire, ou plutôt ne pas faire et ne pas dire.
Il se leva plusieurs fois, nerveux de rester inactif alors que ce soir jouerait-il peut-être le plus grand rôle qu'il n'ait jamais osé incarner. Sur ce point-ci, il n’avait pas complêtement tort, d'ailleurs. Mais l’amour est une chose curieuse, qui se joue de toute velléité de subordination. Et De St G. le savait pertinement. Aussi prit-il un livre au hasard, sur une commode, sur une étagère, sur un fauteuil, ou sur une table basse. Mais jamais il n’arriva à lire plus d’une page cet après-midi.
"Together we will fuck off the world as we have never done before ", chantait Jim. A défaut pourrait-il au moins consacrer son après-midi à trouver une tenue décente pour la soirée. Il vida pour cela son armoire et sa penderie, éternel insatisfait de garde-robe comme tout véritable esthète. Il choisit finalement de garder le pantalon noir et de mettre un pull en cachemire à col roulé noir également, classique du genre mais toujours élégant, avec par-dessus un imperméable beige cintré, parfait pour ce genre de temps et de soirée. Quelque peu calmé, M. De St G. s’aperçu alors que le jour agonisait à sa fenêtre. Héloïse ne tarderait pas à venir le chercher. Il se demanda à ce propos si elle avait déjà revendu sa Mini, si elle avait réservé un taxi.
FIN DE L’ACTE I

Monday, June 05, 2006